Couronné par le Booker Prize, « Le Chant du Prophète », le dernier roman de Paul Lynch est une dystopie se déroulant en Irlande. Depuis deux ans, un parti unique, le NAP, est au pouvoir et a déclaré l’état d’urgence. Eilish mène cependant une vie à peu près ordinaire, entre son travail, son mari, ses quatre enfants dont un bébé, et son père, un homme âgé qui perd peu à peu la tête, et qui habite aussi à Dublin, dans un autre quartier.
Un soir, deux hommes de la police secrète, le GNSB, frappent à la porte du domicile familial. Ils souhaitent parler à Larry, le mari d’Eilish, qui est absent. Celui-ci, enseignant syndicaliste, disparait peu de temps après. Eilish se retrouve seule avec ses enfants, alors que le totalitarisme se répand inexorablement. La sœur d’Eilish, installée depuis longtemps au Canada, la presse de s’enfuir, avec leur père et les enfants, mais Eilish ne veut pas partir sans son mari, dont elle n’a aucune nouvelle. Cependant, l’étau se resserre autour de la famille : arrestations, nouvelles lois, incorporations forcées, surveillance, licenciements, contrôle des frontières…la rébellion gronde, et bientôt, la guerre civile fait rage.
Véritable roman psychologique, « Le Chant du Prophète » est angoissant, étouffant, un effet souligné par les paragraphes massifs du texte, qui coupent la respiration. Il nous raconte la violence d’une nation qui sombre dans la dictature, puis le chaos, à travers les yeux d’une femme ordinaire d’un pays ordinaire. Celle-ci voit s’effondrer tout ce qui structurait son quotidien : son couple, son travail, sa famille… Mère courage, elle doit composer avec un environnement anxiogène tout en gérant un père vieillissant, des adolescents qui, de par leur âge, leur comportement, sont autant à risque qu’ils la mettent, elle, en risque. Eilish, responsable de tout le monde, enfermée dans la solitude de sa situation, doit prendre – ou ne pas prendre – certaines décisions, dans un monde totalement incertain où elle ne maîtrise plus rien, devant naviguer entre déni et paranoïa, toute action pour protéger certains de ses proches pouvant mettre les autres en danger.
C’est un livre dur, le récit d’un effondrement qui est d’autant plus effrayant que l’enchaînement semble réaliste, et ceci, dans un pays européen, de nos jours. Poignant et terrifiant.
Publié en Janvier 2025 chez Albin Michel (Terres d’Amérique), traduit par Marina Boraso, 304 pages.
