Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur & Va et poste une sentinelle – Harper Lee

 

Bien avant le début de ce blog, j’avais lu et beaucoup aimé « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » d’Harper Lee, un roman culte aux Etats-Unis. Quand j’ai appris la parution de la suite de ce roman, « Va et poste une sentinelle », j’ai bien sûr eu envie de le lire…malgré une rumeur plutôt négative. Mais avant toute chose, et pour bien me remettre l’histoire en tête, j’ai commencé par relire « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ».

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » a été publié en 1960 aux Etats-Unis et a été récompensé par le Prix Pulitzer. C’est devenu un classique de la littérature américaine. Le roman se passe sur une durée de trois ans, dans les années 30, dans une petite ville d’Alabama. La petite Jean-Louise, surnommée Scout, raconte son quotidien. Orphelins de mère, son grand frère Jem et elle sont élevés par leur père, Atticus Finch, avocat, avec l’aide de la bonne noire, Calpurnia. Les deux enfants, ainsi que leur ami Dill, sont fascinés par le mystérieux occupant de la maison voisine, Boo Radley, un homme étrange qui vit reclus chez lui depuis de nombreuses années. Leur vie est bientôt bouleversée par un procès : un homme noir, Tom Robinson, est accusé de viol par une jeune femme blanche. Atticus Finch est l’avocat de Tom, et cherche vigoureusement à prouver son innocence, ce qui provoque la colère des habitants de la petite ville…

J’ai beaucoup aimé le personnage de Scout, que l’on découvre de 5 à 8 ans. Petite fille intelligente, espiègle à la limite parfois de l’insolence, elle a la langue bien pendue, et n’hésite pas à dire des gros mots et à donner des coups de pieds bien placés. Scout se balade toute la journée en salopette, et ne respecte pas du tout les convenances. Son frère et elle ont reçu une éducation que l’on peut qualifier de non conventionnelle vu l’époque et le lieu de l’intrigue, mais aussi vu leur milieu social. En effet leur père, Atticus, est un homme qui se distingue des autres : il élève seul ses enfants, leur parle comme à des adultes, ne les bat pas contrairement à beaucoup d’autres pères, et leur inculque des valeurs qui vont à l’encontre du snobisme familial incarné par sa sœur Alexandra, pour qui rien n’est plus important que le pedigree et qui voudrait que les enfants ne fréquentent que des gens du même milieu social qu’eux. Atticus est un homme intellectuel, posé, qui préfère convaincre par les mots que par les poings, et qui a un sens aigu de la justice : il est pour lui insupportable que Tom Robinson, qu’il soit blanc ou noir, soit condamné pour un viol qu’il n’a pas commis, et il fera tout pour prouver son innocence. Cependant, pour la majorité des habitants de la ville, le fait que Tom soit noir implique sa culpabilité – il est impensable que des blancs puissent mentir et un noir dire la vérité dans cette affaire, et Atticus est considéré comme un traître à sa race puisqu’il a non seulement accepté de défendre un noir contre une blanche, mais qu’il fait aussi son maximum pour rétablir la vérité.

Atticus, c’est l’homme qui est seul envers et contre tous : contre le snobisme de sa famille, contre les habitants de la ville, contre la justice, contre les mœurs de l’époque, contre les préjugés et la bêtise. Il est même le seul à se dresser contre le chien atteint de la rage, et à pouvoir l’abattre pour protéger les enfants, alors qu’il répugne désormais à utiliser les armes. C’est l’homme qui diffuse un message de tolérance et de justice, et qui, par l’éducation qu’il a donné à sa fille, en a fait une enfant intelligente, courageuse, qui n’hésite pas à aller à l’église avec les noirs et à s’asseoir avec eux au tribunal. (N’oublions pas que nous sommes dans les années 30 aux Etats-Unis, et plus encore, dans le Sud ultra-conservateur et ségrégationniste)
Le roman a été publié en 1960, après une décennie marquée notamment par la fin de la ségrégation et le mouvement des droits civiques, ce qui n’allait pas sans heurt dans les états du Sud, comme l’Alabama. Le message était donc très fort, et porté par un récit où se mêlent intelligemment chronique d’une petite ville avec des descriptions très réussies de ses habitants, souvenirs d’enfance, récit d’un procès, et de nombreux rebondissements. C’est intelligent, c’est plaisant, avec des personnages marquants et très bien incarnés, et à lire absolument. A noter que la version que j’ai lue comporte une très intéressante post-face d’Isabelle Hausser, qui a aussi réactualisé la traduction, et qui est une auteur que j’aime beaucoup.
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Passons maintenant à « Va et poste une sentinelle ». (Décidément, Harper Lee a la manie des titres cryptiques). Si l’intrigue se situe vingt ans après « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », le roman a en fait été écrit avant. Comme il avait été refusé par les éditeurs, Harper Lee en avait repris certains personnages pour écrire un texte situé cette fois dans les années 30, et non 50.
Scout, âgée maintenant de vingt-six ans et habitant à New York, retourne dans sa petite ville natale d’Alabama pour les vacances. C’est l’occasion pour elle d’y retrouver son père, Atticus, et son petit ami Hank, qui lui demande de l’épouser. Pourtant ce séjour met à mal toutes les certitudes de Scout : en effet, trouvant par hasard une brochure raciste à la maison, elle découvre que son père assiste à des réunions de défenseurs de la suprématie blanche. Lorsqu’elle le confronte, celui-ci lui confirme qu’il est opposé à la fin de la ségrégation et qu’il n’y a pas d’égalité à ses yeux entre les noirs et les blancs.
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« Va et poste une sentinelle » m’a laissé un sentiment mitigé. Autant il se passait beaucoup de choses dans « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » , entre l’histoire de Boo Radley, l’affaire Tom Robinon, les affrontements avec Bob Ewell, autant l’intrigue est ici plutôt linéaire, se concentrant sur l’affrontement entre Scout et son père. Avait-on besoin d’autant de pages pour cela, ou une grosse nouvelle suffisait-elle?
Beaucoup de problèmes rencontrés avec ce roman viennent du fait qu’il a été écrit avant mais publié après « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », sans avoir été retravaillé ou adapté en fonction du contenu de ce dernier :  il y a donc de la redite par rapport à « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », surtout si on l’a lu peu de temps auparavant, ce que j’ai trouvé lassant et l’issue du procès Tom Robinson n’est pas du tout la même dans les deux ouvrages alors que c’est un moment clé de l’histoire.
Le passage où Scout retrouve Calpuerna m’a aussi semblé bâclé, c’est une brève rencontre, avec des propos sibyllins de la part de Calpuerna qui remettent en question tout un pan de l’histoire de « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », puisque dans ce roman, la bonne agit quasiment comme une mère pour Scout et son frère.

Lire « Va et poste une sentinelle » peut être douloureux pour les fans de « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » car il casse complètement le mythe de ce personnage porté aux nues qu’est Atticus Finch, symbole dans la littérature américaine de l’anti-racisme et du progressisme. Or là, on s’aperçoit que l’avocat est en fait un homme raciste, qui n’hésite pas à dire à sa fille que la population noire est arriérée, que les noirs ne devraient pas avoir le droit de vote car ils n’ont pas les capacités pour voter et pourraient également par leur vote massif remplacer tous les blancs aux postes stratégiques par des noirs, que ce serait une catastrophe si les noirs envahissaient tous les endroits habituellement réservés aux blancs.

J’ai trouvé le dialogue entre le père et la fille vraiment très intéressant. Scout a gardé ce côté frondeur et non-conventionnel qui était sa marque de fabrique quand elle était petite, et elle suit son cœur et son jugement personnel plutôt que les traditions. Si elle est marquée par son éducation du Sud, et notamment par le traumatisme de la guerre de Sécession et une méfiance atavique pour le pouvoir fédéral et la Cour Suprême, elle vit maintenant à New York et possède le recul nécessaire pour envisager les droits accordés aux noirs de façon humaine et non de façon épidermique. Et paradoxalement, c’est l’éducation ouverte et réfléchie que son père lui a donnée qui lui permet d’argumenter et de s’opposer à lui.

Ce que montre « Va et poste une sentinelle », même si ce n’est pas son but premier, puisque encore une fois il a été écrit avant « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » donc pas dans l’objectif de démonter ce roman, c’est que défendre bec et ongles un noir accusé à tort par une blanche ne veut pas forcément dire qu’on pense que ce noir est l’égal d’un blanc, mais simplement qu’on a le souci de la justice et qu’on ne supporte pas qu’un innocent soit condamné pour ce qu’il n’a pas fait. Mais aussi que dans les années 30, les blancs ne se sentaient pas menacés par une quelconque progression pour les noirs, et que c’est dans l’adversité que l’on montre son vrai visage. »Va et poste une sentinelle » remet également « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » dans son contexte: il ne faut pas oublier que l’histoire de ce roman est vue à travers les yeux d’une petite fille…avec des certitudes qui sont remises en question une fois arrivée à l’âge adulte.

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » d’Harper Lee est un excellent classique de la littérature américaine, à lire absolument…Quant à « Va et poste une sentinelle », ne le lisez pas si vous ne voulez pas voir Atticus Finch tomber de son piédestal, mais malgré ses défauts c’est un roman marquant, par ce dialogue percutant entre le père et la fille, et par le fait qu’il bouscule tout ce que l’on croyait acquis.

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » : chez Grasset ou au Livre de Poche, traduit par Isabelle Stoïanov, 480 pages.
« Va et poste une sentinelle » : publié le 7 octobre 2015 chez Grasset, traduit par Pierre Demarty, 336 pages

31e participation au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015…

14 commentaires sur “Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur & Va et poste une sentinelle – Harper Lee

  1. @Valérie : trop de bons sentiments peut-être?
    @Noukette : on y croit!:)
    @Galéa : oui et sans avoir édité la fin, ce qui est vraiment dommage…
    @Papillon: je pense que tu serais déçue..
    @Jérôme : ah oui le premier est un classique 🙂

  2. Bonjour Eva, pour Va et poste une sentinelle, le moins que l'on puisse écrire est qu'il ne laisse pas indifférent les critiques et il semble que les lecteurs américains l'aient boudé. Je n'ai lu aucun des deux. Certainement que je les lirais un jour. Bon début de semaine.

    1. Bonsoir Dasola,
      « Va et poste une sentinelle » n’a pas été boudé par les Américains car il est resté 6 semaines en tête des ventes pour le sacro-saint classement du New York Times.
      Fabrice

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