A l’heure où l’on est abreuvé de toute une production de livres plus ou moins romancés et plus ou moins bien écrits avec « Auschwitz » dans le titre – toute la gamme des métiers possibles et imaginables sont à disposition : le tatoueur, la sage-femme, la bibliothécaire, le photographe, le magicien, le petit rémouleur…« Les Amants d’Auschwitz » aurait pu être dans la même mouvance, mais il s’agit en réalité d’un document, comme l’indique le sous-titre « une histoire vraie », et non d’un roman, basé sur un travail de recherche rigoureux, avec de nombreuses notes et références (plus de 70 pages!), ainsi que des reproductions de photos.
L’autrice nous met en présence de deux jeunes gens juifs qui ont été déportés, chacun de leur côté, à Auschwitz en 1942 : Zippi, slovaque, qui se distingue par ses compétences de graphiste, et David, chanteur polonais, survivant du ghetto de Varsovie. Toute la première partie, de manière alternée, place le contexte et nous décrit leur vie avant la déportation, qui va se produire alors qu’ils sont vraiment très jeunes : seize ans pour David, et seulement quelques années de plus pour Zippi.
Etrangement, alors que l’autrice a pu échanger avec David, et non avec Zippi, qui était déjà décédée à l’époque de ses recherches, j’ai trouvé que c’était Zippi qui était la plus incarnée, sur laquelle nous avions le plus d’informations. Et pareil au sein d’Auschwitz – dans les parties II et III du récit – où nous sommes vraiment en immersion dans le camp avec la jeune femme – il faudra attendre la fin de la guerre, pour que l’on parle plus de David. L’approche de Keren Blankfeld est très fine et pédagogique, elle donne beaucoup de détails sur le camp, sur son organisation, sur la vie quotidienne, sur l’importance aussi d’avoir des compétences rares ( c’est le cas pour Zippi), de l’entregent, des connaissances à des postes clé pour avoir une minuscule chance de survivre.
Et alors que le titre est « Les Amants d’Auschwitz », la relation de Zippi et David n’est pas au centre du livre, il faut bien passer un tiers de l’ouvrage avant qu’ils ne se rencontrent, et leur histoire est finalement peu détaillée et paraîtrait presque anecdotique si le lieu de cette histoire n’était pas si incroyable. Car il est beau de voir qu’alors que les jeunes gens luttent quotidiennement pour leur survie et vivent des choses terribles dans cet endroit mortifère, ils restent capables de s’émouvoir d’un regard, et d’avoir des sentiments l’un pour l’autre. Et durant la majorité du livre, avant d’arriver à la partie IV, qui explore l’après-guerre, on se demande si tous deux vont finir leurs jours ensemble.
Le travail de recherche de Keren Blankfeld est solide, très sourcé, et j’ai aimé rencontrer Zippi, jeune femme admirable et courageuse. et en savoir plus sur sa survie à Auschwitz. David m’a semblé plus flou, plus en retrait, même si l’équilibre s’inverse à la sortie du camp. Finalement, le titre ne tient pas complètement sa promesse, même s’il est aguicheur, car ce sont plutôt deux trajectoires de jeunes déportés qui nous sont racontées. Mais c’est un livre qui, encore et toujours à notre époque, est essentiel pour savoir, transmettre et ne pas oublier.
Publié en Janvier 2025 chez Albin Michel, traduit par Karine Guerre, 496 pages.