J’aime beaucoup Emmanuel Carrère et je lis tous les ouvrages qu’il publie – j’ai d’ailleurs lu cet été sa biographie de Philip K. Dick que je n’ai pas encore chroniquée. Je ne pouvais donc pas manquer de lire « Kolkhoze », son dernier livre, qu’il consacre à sa mère, décédée récemment.

D’ailleurs, « Kolkhoze » aurait pu s’appeler « Un Roman Russe », comme un précédent ouvrage de l’auteur,  tant la Russie est présente tout au long de récit foisonnant, aux nombreux personnages et aux destins romanesques. Hélène Carrère d’Encausse est issue de deux familles riches, cultivées, d’un haut niveau social, que la révolution russe de 1917 va précipiter vers l’émigration et la précarité. Née Zourabichvili, apatride, à Paris en 1929, elle va embrasser, malgré un nom et un père géorgiens, la langue et la culture russes, et connaître une ascension sociale et une carrière professionnelle admirables, devenant une spécialiste reconnue de l’URSS, et la secrétaire perpétuelle de l’Académie Française.

Si j’ai eu un peu de mal à entrer dans le texte en raison d’un début très factuel dédié à la généalogie d’Hélène Carrère d’Encausse, je me suis laissée très vite embarquer par la narration d’Emmanuel Carrère. J’ai pris mon temps pour lire ce livre dense, et j’ai fini par avoir l’impression que moi aussi je « faisais kolkhoze » aux côtés de cette famille.

Il n’est jamais évident de lire ce qu’un fils écrit sur sa mère, ce qui peut vite tomber dans le gnan-gnan ou dans le règlement de comptes. J’ai trouvé qu’Emmanuel Carrère avait la bonne posture, il parle de sa mère avec affection, mais sans passer outre ses défauts ou dérives. Et surtout le récit est enrichi de toute une galerie de personnages secondaires très intéressants, que ce soit son oncle maternel Nicolas, sa cousine paternelle Salomé qui deviendra présidente de la Géorgie, ou encore son père Louis, qui m’a beaucoup touchée.

Et puis, au-delà d’une biographie de la mère, c’est aussi le récit d’une famille prise dans la tourmente de l’Histoire du XXe siècle, celui aussi d’un destin français – une jeune femme issue d’une famille immigrée, pauvre, marquée par le déshonneur d’un père collaborateur et de la souffrance de sa disparition inexpliquée, qui va s’élever jusqu’aux plus hauts rangs de la société française – c’est celui aussi d’une page qui se tourne, avec une experte qui se laisse elle-même surprendre par l’attitude de Poutine et la guerre en Ukraine.

A lire !

Publié en Août 2025 chez POL, 560 pages.