Le 5 Octobre dernier décédait Henning Mankell, un auteur suédois que j’aimais beaucoup, et dont j’avais notamment lu avec plaisir la série policière de Kurt Wallander. Un mois après sa mort, quelques blogueurs lui rendent hommage avec une lecture commune de ses œuvres, une initiative mise en place par Cryssilda. J’ai choisi son tout premier roman « Daisy Sisters » publié en 1982 en Suède, mais seulement il y a six mois en France.
« Daisy Sisters » n’est pas un roman policier, ou un roman « africain » mais une fresque familiale et sociale sur deux générations. En 1941, Elna, dix-sept ans, part faire une balade à vélo le long de la frontière norvégienne avec sa correspondante Vivi, mais l’aventure tourne au drame : Elna est violée par un soldat, et tombe enceinte. Après Elna, on suit sa fille, Einor, de l’âge de quatorze ans, où elle fugue avec un délinquant, à l’aube de la quarantaine.
« Daisy Sisters » est très différent des autres livres d’Henning Mankell, et sans son nom sur la couverture je n’aurais jamais deviné qu’il était l’auteur de ce roman. J’ai eu du mal à entrer dans ce récit, non pas à cause du sujet mais parce que je trouvais le début du livre écrit de façon hâtive et lapidaire, sans réelle recherche pour camper un contexte ou pour tourner des phrases un brin élégantes.Toute la première partie, consacrée à Elna jeune fille, m’a donc semblé manquer d’intérêt littéraire.
J’ai trouvé la suite, où l’on retrouve Einor adolescente, beaucoup plus réussie. Henning Mankell a voulu écrire une fresque sur la condition féminine dans les milieux modestes, et effectivement le point de vue est intéressant : je me suis attachée au personnage d’Einor que l’on voit grandir, de ses rebellions d’adolescentes à son installation dans son petit studio de jeune employée, avec ses rêves de travailler dans une usine de confection. La plume de l’auteur est pessimiste, et malgré les opportunités qui s’offrent à elles, Elna et Einor n’auront pas des vies très réjouissantes. La maternité non désirée, qu’elle soit le fruit d’un viol ou d’un défaut de contraception, semble être le fil conducteur de ce roman, et la cause du manque de perspectives des héroïnes des « Daisy Sisters » : les enfants engageront Einor dans la voie d’un mariage sans amour qui l’enfermera dans son foyer, la privant de la carrière dont elle rêvait. Plus tard, ils l’empêcheront de trouver un travail plus épanouissant et de reprendre ses études. Comme une chape de plomb, le destin s’acharne : dès qu’Einor semble progresser dans la vie, un événement va lui compliquer la vie et l’empêcher de mener à bien ses projets.
Henning Mankell évoque l’avortement, la vie de couple au début des années 60, le travail en usine, avec le manque de liberté pour les femmes. Des femmes qui oscillent entre volonté de s’en sortir et résignation à une vie sans perspectives, avec des moyens financiers limités, un travail peu valorisant, un compagnon qui ne leur facilite pas le quotidien et des enfants qui semblent reproduire le même schéma. Dans la vie d’Einor, rien n’est si dramatique, mais rien n’est réjouissant non plus, et le fait qu’il ne semble pas y avoir d’amélioration pour la génération d’après , avec des projets, des études, une possible ascension sociale, donne une note amère à ce roman,
Les fans de Kurt Wallander risquent d’être surpris avec « Daisy Sisters » d’Henning Mankell, tant par le thème abordé, que par le style, qui n’est pas aussi abouti que dans les romans suivants de l’auteur. Ce n’est clairement pas son livre le mieux écrit, mais la plongée dans la vie quotidienne de ces deux femmes, la mère Elna et la fille Einor, est assez intéressante pour compenser ce manque, même s’il règne dans ce roman un manque d’espoir et une tendance atavique à l’échec aussi déprimants que la couverture est joyeuse…
Publié le 2 Avril 2015 aux Editions Seuil, traduit par Agneta Segol et Marianne Ségol-Samoy,505 pages
Il me tente beaucoup… Je vais toutefois attendre la parution en poche.
J'ai son dernier livre testament à lire… Bien des larmes en perspective!
Très intéressant, je ne connaissais pas du tout l'existence de ce roman. Ca donne quand même envie de le découvrir. Il a quand même réussi son coup en faisant passer le message de la fresque sociale. Je constate que Mankell était très intéressé par la condition de la femme. D'un roman à l'autre, la femme a une place qui varie d'un extrême à l'autre, c'est très travaillé, documenté, et parfois extrêmement émouvant surtout quand les femmes sont très mises en valeur. Merci.
Il m'attend aussi celui là, je suis très curieuse de lire le premier roman de Mankell !
@ Noukette : si tu connais bien l'ensemble de son oeuvre, tu risques d'être surprise
@Adelaide : c'est tout à fait ça, c'est clairement le coeur de son livre et ce qui est le plus fouillé dans ce roman, même si le style laisse un peu à désirer…
@Marie-Claude : j'ai très envie de lire son dernier livre également, c'est vrai que ça va être une lecture poignante…
En effet ça n'a pas l'air de ressembler à ce que qu'Henning Mankell fait habituellement mais ça peut être intéressant, je retiens.