Des hommes de peu de foi – Nickolas Butler

Nickolas Butler est un auteur avec lequel ma première rencontre n’avait pas été vraiment fructueuse : « Retour à Little Wing » avait à mes yeux du potentiel mais aussi beaucoup de faiblesses. Je ne me suis pas laissée abattre, et j’ai renouvelé l’expérience avec son recueil de nouvelles « Rendez-vous à Crawfish Creek » qui, lui, m’a beaucoup plu. C’est donc avec grand plaisir que j’ai accueilli le nouveau roman de Nickolas Butler, « Des hommes de peu de foi ».

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Nickolas Butler

Comme l’indique la couverture – un dessin de Norman Rockwell – ce roman nous parle de scouts. Je pensais que le scoutisme serait vraiment au coeur du roman, mais c’est plutôt une toile de fond. Le livre se compose de trois parties, qui pourraient presque être appréhendées comme trois nouvelles séparées, même s’il y a quand même un lien entre elles. Dans la première, on découvre en 1962 Nelson, un jeune garçon gentil et précoce, qui grandit entre un père secret et violent et une mère très aimante. L’adolescent, qui est clairon au camp de scouts où il se rend avec son père, n’y a pas d’amis et est le souffre-douleur de ses camarades – seul un certain Jonathan lui témoigne un peu d’amitié… La deuxième partie, située en 1996, met en scène Jonathan qui emmène son fils Trevor au camp scout et fait étape sur la route pour retrouver Nelson lors d’une soirée bien particulière… Quant à la troisième partie, elle se passe en 2019 au camp scout où Rachel, la veuve de Trevor, accompagne son fils Thomas…

J’avais un peu peur que tout le roman se passe dans un camp scout et que ce soit un peu ennuyeux, mais j’ai été très agréablement surprise par « Des hommes de peu de foi ». J’ai trouvé la première partie très bien écrite, j’ai même pensé à Philip Roth en la lisant. Elle s’articule en différents moments très forts – une fête d’anniversaire complètement ratée, un jeu au camp scout qui tourne mal, une dispute conjugale d’une grande violence. Nickolas Butler s’appuie sur des personnages très réussis et sans manichéisme, que ce soit Nelson le jeune garçon qui a des valeurs mais pas d’amis, sa mère, femme au foyer soumise et mère dévouée,  le père, un homme étrange et difficile à cerner, ou Jonathan à l’amitié ambivalente. Dans la deuxième partie, le personnage de Jonathan est également très intéressant – désormais lui-même père d’un adolescent, il a toujours une attitude ambiguë, entre affection et mépris pour son fils, le très sérieux Trevor. Ici c’est le père qui veut boire, s’amuser, changer de femme et qui pousse son fils à repousser ses limites et à mener une vie dissolue, alors que celui-ci est un adolescent qui a des principes et qui est très amoureux de sa petite amie Rachel. Quant à la dernière partie, elle présente un beau portrait, celui de Rachel, qui a dû élever seule son fils après le décès de son mari Trevor, et qui se retrouve confrontée à la difficulté d’être une femme dans un milieu d’hommes lorsqu’elle accompagne le jeune Thomas au camp scout.

Nickolas Butler réussit dans les trois histoires à distiller une tension légère mais constante. Les situations sont toujours sur le point de basculer dans la violence et le drame n’est jamais loin. Les personnages principaux sont très bien incarnés, avec des personnalités riches, et beaucoup de petits détails psychologiques qui nous les rendent plus humains, plus sympathiques. Le propos de l’auteur est également très intéressant. Si le camp scout est le lien entre les trois histoires – deux se passant en partie dans le camp, et une sur la route pour aller au camp- et que les valeurs scout sont martelées, on s’aperçoit à la lecture de « Des hommes de peu de foi » que les valeurs sont très théoriques et ne sont pas vraiment appliquées, ni par les adolescents scouts, ni par les pères de ces adolescents, qui ont aussi été scouts dans leur jeunesse. Le camp est une représentation de la société, et n’est absolument pas protégé de la mesquinerie et de la violence : les faibles, ou tout du moins ceux qui paraissent faibles, sont ostracisés et harcelés comme Nelson qui est persécuté par ses camarades ou Rachel qui, en tant que seule femme, est soit mise à l’écart soit lourdement draguée. Seuls les directeurs de camps sont véritablement porteurs des valeurs que les scouts sont censés défendre – d’abord Wilbur qui sera le mentor de Nelson, puis Nelson lui-même, qui sera à son tour le mentor de Trevor. Nelson et Trevor sont des hommes bons et droits, qui n’hésitent pas à intervenir lorsqu’une situation est dérangeante et à aider leur prochain. Pourtant ils paieront tous les deux cher leur droiture…L’armée, avec ses règles,sa discipline, et son manichéisme, semble être le seul débouché pour ces jeunes hommes, et le livre évoque le difficile retour à la vie normale de ces vétérans, Vietnam pour Nelson et Afghanistan pour Trevor.

Nickolas Butler a réussi un roman très bien équilibré entre ses différentes parties, qui questionne les valeurs de la société à différentes époques – un livre doucement pessimiste, même s’il est empreint d’humanité. « Des hommes de peu de foi » est un beau roman, très bien maîtrisé, porté par des personnages riches et une plume efficace.

Publié en Août 2016 aux Editions Autrement, traduit par Mireille Vignol, 540 pages.

7e participation au Mois Américain 2016 et 5e lecture de la Rentrée Littéraire 2016

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25 commentaires sur “Des hommes de peu de foi – Nickolas Butler

  1. Je n’ai pas encore lu cet auteur et j’hésitais devant ce nouveau titre, mais du coup je le note. Il va falloir que j’arrête de noter des titres, je n’aurai jamais assez d’une vie pour tout lire !

    1. son recueil de nouvelles est vraiment de très bonne qualité également… je suis surprise du fossé entre ces deux ouvrages et Retour à Little Wing – même la traduction était bancale, alors qu’il n’y a pas de problèmes avec les deux autres qui sont pourtant de la même traductrice

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