Le Ghetto Intérieur – Santiago H. Amigorena

Je n’avais jamais lu Santiago H. Amigorena mais la déferlante d’avis enthousiastes sur son dernier livre « Le Ghetto Intérieur » m’a poussée à découvrir cet auteur en urgence, et je l’ai donc lu en priorité alors que ma PAL déborde…

Vicente a quitté la Pologne en 1928 pour aller s’installer en Argentine, à Buenos Aires : envie de découvrir le monde, envie de mettre derrière lui un pays qui l’avait déçu, et peut-être aussi envie de s’éloigner un peu de sa famille. A Buenos Aires, il s’est marié avec Rosita et a eu avec elle deux filles et un garçon, tout en gérant un magasin de meubles. Sa mère, qui est restée à Varsovie, lui écrit régulièrement, mais il ne lui répond pas toujours. Lorsque les Nazis arrivent en Pologne, et que sa mère doit vivre dans le ghetto de Varsovie, Vicente comprend qu’elle est en danger et qu’il ne peut désormais plus rien faire pour elle. Rongé par la culpabilité, il se mure dans le silence et sombre dans la dépression…

Santiago H. Amigorena aborde la Shoah via un angle original, à travers un personnage qui se trouve à 12 000 kilomètres de la Pologne et qui va être une victime collatérale, souffrant de la culpabilité du survivant. Avant la guerre, Vicente avait proposé plusieurs fois à sa mère de le rejoindre en Argentine, mais celle-ci ne souhaitait pas quitter son fils aîné. Vicente n’a pas vraiment insisté, n’est pas allé la chercher, n’est pas non plus retourné auprès d’elle en Pologne, il a fait sa vie à Buenos Aires et s’est satisfait de cette situation. Le fils prodigue, soulagé d’avoir pris son indépendance, est désormais torturé par le fait de n’avoir pas sauvé sa mère ou de ne pas être mort avec elle.

Le texte est facile d’accès tout en étant profond. A travers les tourments de son grand-père, Santiago H. Amigorena questionne avec des mots simples des notions complexes – l’identité, la culpabilité, la parole…Vicente, dont on pourrait dire qu’il avait tout pour être heureux, s’éloigne de sa femme et de ses enfants, devient étranger à lui-même. Il n’arrive pas à partager ses tourments avec sa femme, dont la situation est éloignée de la sienne : ses parents ont fui les pogroms et sont arrivés en Argentine en 1905, elle a donc toute sa famille auprès d’elle.

C’ est un livre court mais que j’ai paradoxalement mis longtemps à lire car j’ai souligné beaucoup de passages, c’est un texte qui fait vraiment réfléchir. Il est très riche sur le plan psychologique, car l’auteur décortique finement les tourments de Vicente. Mais les dimensions historique et philosophique sont également très intéressantes.

« Le Ghetto Intérieur » de Santiago H. Amigorena est un très beau texte, intelligent et percutant. Une très belle surprise, et un auteur dont je vais m’empresser de découvrir l’oeuvre. 

Publié en Août 2019 chez POL, 192 pages.

4e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2019.

20 commentaires sur “Le Ghetto Intérieur – Santiago H. Amigorena

  1. Ah la la oui, ce livre doit être passionnant !

    Si je t’ai bien lu, Santiago H. Amigorena s’est inspiré de la vie de son grand-père pour écrire ce livre.
    Cette filiation, cette mémoire obsédante qui saute une génération, ces blessures de la Shoah toujours ouvertes se retrouvent également dans le livre de Chris Kraus « La fabrique des salauds » que j’ai écouté dans l’émission « La grande table » jeudi.
    Mais on est là du côté des bourreaux ; Chris Kraus retrace le parcours de son grand-père, membre d’un einsatzgruppen avant de « rebondir » après la guerre pour collaborer avec les services secrets occidentaux; un roman vertigineux nous dit Olivia Gesbert.

    Concernant la rentrée littéraire de l’année dernière que tu évoquais récemment ; j’ai fortement été impressionné par « Le lambeau » de Philippe Lançon que j’ai lu cet été. Ce bonhomme-là a une érudition phénoménale et son style est remarquable.

    1. Bonjour Arto, comme d’habitude, c’est un plaisir de recevoir un commentaire de ta part ! L’auteur évoque effectivement son grand-père dans ce livre. J’ai le livre de Chris Kraus dans ma PAL et je pense le lire d’ici le mois prochain. Tu m’avais en effet dit que tu lirais « Le Lambeau » cet été, et j’attendais ton avis avec impatience : je note donc que c’est un livre que tu me recommandes !

  2. Tu me donnes vraiment envie de le lire : je lis peu les livres sur la guerre et sur la Shoah, mais il me semble que celui-ci est davantage un récit sur la culpabilité, indépendamment du contexte historique. Et cela m’intéresse beaucoup.

  3. comme tu le sais, je sors du guetto de Lodz en Pologne, du coup j’ai une pensée émue pour cet homme … l’impuissance, la culpabilité .. je le note – si je le croise à la BM
    ta PAL déborde ? bienvenue au club !

  4. Pour compléter mon post FB un peu lapidaire : ce livre à été encensé par la critique de façon quasi unanime, ce qui en change la réception bien sûr, on s’attend à quelque chose , hein . Très grande déception pour moi, un style plat comme un trottoir, des scènes d’exposition extrêmement lourdes ( présentation des personnages) , des dialogues d’une banalité à pleurer, le monologue intérieur de l’épouse également, beaucoup de redites… Bref, avec tout le respect dû à l’histoire personnelle de l’auteur, je trouve que ce n’est vraiment pas un bon ouvrage, sur un sujet où certains ont excellé ( l’Elu de Chaïm Potok, par exemple, parlait de cette culpabilité du survivant) et pour traiter d’une période où il me semble qu’il ne faut pas s’aventurer sans avoir vraiment quelque chose à dire, au vu du nombre de bouquins remarquables qui ont déjà été écrits …Contrairement à toi d’ailleurs, je l’ai lu rapidement, le trouvant dans l’ensemble extrêmement superficiel. Mais comme aurait dit Marielle, cet automne Amigorena avait la carte 😉

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