L’enterrement d’un Juif hongrois – Catherine Paysan

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« L’enterrement d’un Juif hongrois » est un récit autobiographique de la romancière et chanteuse Catherine Paysan, auteure que je n’avais jusque là jamais lue : elle y évoque son mari, Emil Hausen, Juif d’origine hongroise, comme le titre l’indique.

Catherine ( de son vrai nom Annie Roulette) et Emil forment un couple qui n’aurait certainement jamais existé sans le grand désordre créé par la Seconde Guerre Mondiale. Elle vient d’une famille catholique, ses parents sont des fonctionnaires de la Sarthe, il vient d’une famille juive pauvre de Budapest. Rescapé de la Shoah, qui aura décimé une partie de sa famille, il fuit l’invasion soviétique et arrive en 1946 à Paris. C’est là qu’ils se rencontrent, vingt ans plus tard, alors qu’ils ont tous les deux la quarantaine. Des amis communs parlent de Catherine à Emil, qui décide de lui écrire. Après une correspondance de plus en plus tendre, commence une amitié, puis une histoire d’amour qui durera plus de trente ans, jusqu’à la mort d’Emil en 2000.

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Catherine Paysan

J’ai d’abord été déconcertée par le style d’écriture de Catherine Paysan : de très longues phrases où le verbe se trouve souvent à la fin, des circonvolutions, beaucoup de points d’exclamation, parfois un peu de redite…. En réalisant que l’auteure avait quatre-vingt-dix ans, j’ai été beaucoup plus indulgente ! Et de fait, Catherine Paysan nous raconte avec beaucoup de tendresse cette relation entre deux personnes que tout semble, en théorie, opposer, mais qui pourtant avaient de nombreux points communs : tous deux férus de littérature, amateurs d’art, cultivés…Si c’est surtout Emil qui a eu une jeunesse très difficile puisqu’il a vécu la guerre de façon beaucoup plus dramatique que Catherine, perdant plusieurs de ses frères et soeurs assassinés par les Nazis, et échappant de justesse à la mort, tous deux ont des fêlures : la fiancée d’Emil s’est suicidée lors de l’arrivée des Soviétiques à Budapest, quant à Catherine elle a eu une relation cachée pendant plusieurs années avec Abdelkader, un Sénégalais musulman, avant que celui n’ait un grave accident de voiture avec de lourdes séquelles et reparte auprès de sa famille au Sénégal, son état ne lui permettant pas de rester en France. Catherine a eu beaucoup de mal à se remettre de ce drame, d’autant plus que leur relation étant cachée, elle n’a pas eu le soutien nécessaire pour faire le deuil de cette histoire. Très attachée à ses parents, elle a mal vécu la mort de ces derniers, peu de temps après sa séparation forcée avec Abdelkader.

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L’auteure nous raconte les difficultés d’un couple mixte, où chacun peut facilement devenir étranger à l’autre. Catherine et Emil doivent gérer les différences religieuses, les différences culturelles, les blessures dues aux drames qu’ils ont connus…mais aussi le fait qu’ils n’ont pas vécu les mêmes choses et n’ont pas les mêmes références : la forêt, endroit idéal pour se balader et se ressourcer pour Catherine, est vu comme un lieu de massacre et d’ignominie par Emil. Catherine n’a jamais rencontré la mère d’Emil, son frère et sa soeur, qui se sont installés en Israël et n’ont pas apprécié qu’Emil se marie avec une goy. Alors qu’elle insiste pour fréquenter le meilleur ami d’Emil, elle se retrouve dans une soirée où même si on est très aimable avec elle, tout le monde parle hongrois et suit des rites juifs qui ne lui sont pas familiers. Quant à Emil, il ne comprend pas forcément l’envie de Catherine de fêter Noël ou son désir qu’il se considère comme partie prenante d’une famille qu’il n’a pas connue puisque les parents de sa femme sont morts avant qu’il ne la rencontre. Des difficultés, en plus des problèmes du quotidien ( argent, chômage…) que le couple surmonte grâce à leur humour et à leur attachement l’un à l’autre. Peut-être aussi grâce à leur maturité, car ils se sont rencontrés à plus de quarante ans.

Les différences culturelles et le racisme semblent être un fil conducteur dans la vie personnelle de Catherine Paysan et dans son oeuvre littéraire. Outre Abdelkader qu’elle évoque dans « L’enterrement d’un Juif hongrois », elle a eu également une relation après la guerre avec un prisonnier allemand pour qui elle ira vivre en Allemagne, une histoire qu’elle raconte dans « L’amour là-bas en Allemagne ». Un de ses plus grands succès, « Nous autres, les Sanchez », évoque un couple formé par une jeune femme normande et un Mexicain à la peau sombre, tout comme « Le Nègre des Sables » qui lui parle d’une relation entre une Française et un Noir américain. Mais Catherine Paysan écrit aussi beaucoup dans « L’enterrement d’un Juif hongrois » sur un autre de ses sujets de prédilection, ses parents et sa famille pour lesquels elle éprouve beaucoup de tendresse et d’admiration. Des sentiments qu’elle semble également ressentir pour la famille d’Emil, dont elle parle longuement, alors qu’elle n’a rencontré aucun de ses membres.

On sent beaucoup d’amour dans ce livre de Catherine Paysan, qui parle de façon très attachante de son mari – pendant leur relation, ou de son manque depuis qu’il est décédé -et de ses parents. « L’enterrement d’un Juif hongrois » témoigne tout en finesse d’une époque où les couples étaient beaucoup moins mixtes que maintenant, même si les difficultés subsistent. Un livre que je suis contente d’avoir lu, malgré le style d’écriture qui ne m’a pas toujours facilité la lecture…

Publié en Janvier 2017 chez Albin Michel, 512 pages.

12e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2017

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7 commentaires sur “L’enterrement d’un Juif hongrois – Catherine Paysan

  1. Il y a tant à lire que je ne me précipiterai pas sur ce livre en raison de ton bémol sur l’écriture. Cela dit, je pense que j’aurais tout de même apprécié cette lecture car le thème m’intéresse.

      1. C’est et ce fut toujours le style de Catherine Paysan, un style opulent.
        Opulent, voilà le mot qui, pour moi, le caractérise le mieux.
        Ecriture d’une grande richesse et souvent très érudite.
        Personnellement, j’aime beaucoup.
        Il est vrai que ce type d’écriture va un peu à l’encontre des tendances littéraires actuelles,
        plus dénudées, plus sèches en quelque sorte.
        A chacun son style, comme on dit.

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