Le Silence d’Isra – Etaf Rum

« Le Silence d’Isra » est le premier roman d’Etaf Rum, autrice américaine d’origine palestinienne. On y découvre Isra, 17 ans en 1990, qui vit en territoires occupés. Sa famille lui arrange un mariage avec Adam, un jeune homme palestinien également, mais qui vit aux Etats-Unis. La jeune fille part donc s’installer à Brooklyn, où elle vit avec son mari, ses beaux-parents et sa belle-sœur Sarah. Dix-huit ans plus tard, Deya, la fille d’Isra, lycéenne, vit avec ses trois sœurs et ses grands-parents. Sa grand-mère Farida lui présente des maris potentiels mais la jeune fille n’a aucune envie de se marier, et souhaite aller à l’université…

Moi qui aime les sagas familiales et les portraits de femmes, j’ai été servie! Difficile de ne pas être touchée par ces trois générations de femmes confrontées à la tradition. La timide Isra se retrouve isolée à Brooklyn, où elle ne connait que sa belle-famille, et son petit quartier. Pressée par sa belle-mère Farida d’avoir un fils, elle tombe enceinte quatre fois en quatre ans mais se désespère de ne donner naissance qu’à des filles. Sa fille, Deya, évolue elle aussi dans un univers clos : elle va dans une école pour jeunes filles musulmanes et ne connait que son quartier. Mais, comme sa mère, et sa tante Sarah, avant elle, elle adore la lecture et n’a aucune envie de renoncer à aller à l’université pour se marier et avoir des enfants : la découverte de deux secrets de famille va profondément l’ébranler, au moment où elle se trouve à la croisée des chemins.

J’ai aimé les portraits loin de tout manichéisme que propose Etaf Rum. Farida, la grand-mère, est par exemple un personnage très contrasté : elle est conditionnée par son éducation, par les traditions, par la crainte du qu’en dira-t-on, tout en ayant une forte personnalité et en tenant tête à son mari. Elle-même a profondément souffert dans sa jeunesse, et a conscience que sa belle-fille Isra est malheureuse, mais elle n’est pas solidaire pour autant, et se positionne en gardienne du temple : elle n’imagine pas pour sa petite-fille Deya un destin différent du sien.

Les hommes n’ont pas le beau rôle dans cette histoire car ils sont souvent violents, mais ils sont eux aussi victimes des traditions et de la pression sociale : Adam, le mari d’Isra, travaille du matin jusqu’au soir dans l’épicerie familiale, alors qu’il aurait souhaité être imam, et, en tant qu’aîné, doit également épauler ses frères plus jeunes. Il ne trouve d’échappatoire que dans l’alcool et le hashish. Les hommes comme Omar, le frère d’Adam, qui souhaitent vivre de manière plus moderne, et n’imposent pas leur volonté à leur épouse, sont montrés du doigt et accusés de manquer de virilité.

« Le Silence d’Isra » est vraiment un beau livre, souvent poignant et révoltant, qui m’a beaucoup plu même s’il n’est pas exempt de maladresses : j’ai par exemple trouvé peu crédible que l’un des deux secrets de famille n’ait pas été découvert plus tôt et que l’autre ne soit pas arrivé aux oreilles de Deya, alors que tous les personnages concernés évoluent dans une petite communauté, les Palestiniens de Brooklyn, où tout se sait. Cela n’a pas gâché pour autant mon plaisir de lecture, surtout lorsque l’on garde en tête que c’est un premier roman.

Une belle découverte, et une autrice à suivre – Etaf Rum a elle aussi été mariée à l’âge de dix-huit ans. Tout en élevant ses enfants, elle a réussi à poursuivre des études de lettres à l’université, et a un compte instagram à succès dédié aux livres, Books and Beans, son prochain roman sera a priori publié en 2021 aux Etats-Unis.

Publié en Janvier 2020 aux éditions de l’Observatoire, traduit par Diniz Galhos, 432 pages.

11e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2020.

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