« Maid » est le premier livre de Stéphanie Land : ce récit autobiographique raconte ses années de galère pour joindre les deux bouts lorsqu’elle était mère célibataire et femme de ménage.
Stéphanie s’apprête à entrer à l’université de Missoula pour y suivre des études de création littéraire lorsqu’elle tombe enceinte accidentellement. Son compagnon ne souhaite pas d’enfant et commence à avoir un comportement violent : Stéphanie le quitte et se retrouve à vingt-huit ans mère célibataire d’une petite Mia, sans travail ni ressources. Elle n’entretient pas de bonnes relations avec ses parents, mais de toutes façons, son père est lui-même dans une mauvaise passe financière et sa mère vit en Europe. La jeune femme se retrouve hébergée dans un foyer d’urgence puis réussit à obtenir des allocations qui lui permettent de trouver un logement et de vivre chichement en complément de ses petits boulots. Tout en suivant des cours en ligne durant son rare temps libre, lorsque sa fille est couchée, elle devient femme de ménage, et tente difficilement de subvenir à leurs besoins…
Le style de ce récit est simple mais efficace, et il possède un vrai pouvoir évocateur : je n’ai eu aucun mal à m’imaginer Stéphanie et sa fille Mia, les lieux et les situations. La jeune femme décrit bien la spirale de la pauvreté, une difficulté en entraînant une autre, ce qui peut rendre cette situation inextricable. Avant d’avoir sa fille, Stéphanie Land travaillait dans des bars, une profession qui n’est pas compatible avec sa maternité : elle n’a ni qualification ni expérience pour un travail de bureau, et les horaires du travail de femme de ménage sont les seuls compatibles avec des horaires de mère célibataire. Mais le salaire horaire perçu est très bas, et même en faisant beaucoup d’heures, elle ne pourrait pas survivre sans allocations. De plus et travailler a un coût : il faut avoir une voiture, acheter l’essence, conduire d’une maison à l’autre (un temps passé qui n’est pas payé), trouver un moyen de garde pour Mia ou la confier à son père qui n’est pas fiable et avec qui les relations sont tendues… Et comme les allocations dépendent d’un revenu plafond, si Stéphanie travaille plus et dépasse ce revenu, ses allocations seront réduites et, paradoxalement, son budget diminuera.
Ce mécanisme est très bien expliqué tout comme la fatigue et l’anxiété liés au respect d’un budget très serré, où il faut tout calculer à l’euro près, où les choix disponibles sont limités, où le moindre grain de sable peut faire vaciller des mois d’efforts, où le bien-être d’un enfant est sans cesse compromis car sa mère est épuisée, car le logement où elles vivent est insalubre, car la qualité de sa nourriture dépend de ce qui est payable par les bons alimentaires, car la garderie qui accepte l’allocation de garde d’enfant n’est franchement pas terrible…
Et puis il y a la honte et le jugement des autres, qui lui reprochent de ne pas assez travailler, de profiter du système, ou d’être trop exigeante par rapport à sa situation… Son travail de femme de ménage n’est finalement qu’une petite partie de ce récit, et montre tout ce que l’on peut savoir des habitants d’une maison en récurant leur saleté ou en voyant leurs possessions. Stéphanie Land n’hésite d’ailleurs pas à évoquer avec une certaine honnêteté – qui, je n’en doute pas, lui ont sans doute valu des critiques virulentes – des situations où d’autres auteurs se seraient auto-censurés.
Un témoignage assez unique, qui décrit la pauvreté de l’intérieur. A lire absolument.
Publié en Octobre 2020 aux éditions Globe, traduit par Christel Gaillard-Paris, 320 pages.
28e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2020.
Je suis plongée dedans. Je ne pensais pas m’attacher autant.
la mère et la fille sont très incarnées, et leur relation est touchante…
Il m’intéresse d’autant plus que je sors de la lecture du Quai de Ouistreham!
L’introduction du livre, écrite par Barbara Ehrenreich, évoque justement ce livre, en disant que c’est le témoignage d’une journaliste infiltrée alors que Maid est un témoignage « de l’intérieur ».
J’ai beaucoup aimé le Quai de Ouistreham évoqué plus haut. je me demande pourquoi ce livre, Maid, a tant d’avis négatifs sur goodreads, ça pose question.
J’ai très envie de le lire et je vais le lire grâce à toi (et à cette Maison que j’adore comme toi !)
oui j’ai été étonnée aussi de voir autant d’avis négatifs… je pense que c’est dû au fait que l’autrice a choisi de raconter quelques événements pas très glorieux (elle farfouille chez ses clients ; elle se gare sur l’autoroute pour aller chercher une poupée que sa fille a laissé tomber, et quelqu’un percute la voiture alors que sa fille est dedans ; elle reçoit un remboursement des impôts de 4000 $ et va s’acheter une bague à 200 $ alors que vu que son logement est insalubre, le lecteur s’attend à ce qu’elle utilise la somme pour déménager…)