Très belle surprise avec « Parler de lui » de Jean Clamour, un livre dont je n’avais pas du tout entendu parler mais qui m’avait été conseillé par un lecteur de mon blog à l’occasion d’une chronique sur « La Blessure » de Jean-Baptiste Naudet (ok c’était en 2018 et j’en ai mis du temps avant d’acheter et lire le livre, mais cela valait vraiment le coup!)
Le narrateur est le fils cadet, alors que les parents auraient voulu une fille. Il est l’exact opposé de son frère, de huit ans son aîné. Le petit est maladif, efféminé, toujours dans les jupes de sa mère, il est calme, « intello » tandis que le grand est un beau gosse viril et tapageur, la fierté des parents, qui envisage de devenir menuisier, comme le père, désormais enseignant de ce métier. La famille partage son temps entre Casablanca, où elle réside dans une maison au confort moderne, et le Vaucluse, sa région d’origine où elle passe des vacances en mode camping dans un cabanon sans eau ni électricité.
En 1960, le frère part faire son service, une période de vingt-trois mois durant laquelle il va être envoyé en Algérie. Les liens familiaux se maintiennent via une correspondance, des lettres bourrées de fautes qu’il envoie au Maroc, ou dans le Vaucluse, dans lesquelles il raconte son quotidien, son ennui, son éloignement, ses doutes, ses peurs. Le jeune homme plein de projets – ouvrir sa menuiserie, épouser sa petite amie Anne-Marie – le centre de l’attention, est envoyé loin de chez lui, comme un satellite de la famille alors que la vie continue malgré tout.
En l’absence de l’aîné, le petit tente d’être le fils de la famille. La relation entre les deux frères change aussi, il y a plus de respect, plus d’affection, la distance va resserrer les liens.
Et puis, il y a aussi le monde qui évolue. Nés en France, les parents vivent depuis plusieurs décennies au Maroc. Depuis l’indépendance, le retour de la monarchie, la société marocaine change, les Européens qui y vivent sentent le vent tourner. Le père, à qui il ne reste plus que deux ans avant la retraite, décide sur un coup de tête, de demander sa mutation pour le Sud de la France, et la famille se retrouve dans un patelin inconnu, dans lequel elle est (mal) vue comme des étrangers, des pieds-noirs.
On sait très vite qu’il y aura un drame. Mais c’est un très beau texte, très bien écrit, juste, pertinent, pudique aussi, jusque dans ses joies simples dans le Sud de la France, aux accents pagnoliens.
« Parler de lui » est un récit initiatique, une réflexion aussi sur la masculinité, entre l’expression (ou pas) de la virilité et cette tradition d’envoyer les hommes à la guerre, au casse-pipe, juste parce qu’ils sont des hommes. Mais c’est aussi le récit d’un immense gâchis. Les projets, les rêves, l’avenir d’un jeune homme ont été anéantis. Une relation entre deux frères, un amour fraternel ne pourront jamais se développer. Une histoire d’amour a été brisée. Parler de lui, c’est tout ce qu’il reste à faire pour que son souvenir persiste, à lui qui ne peut plus parler.
Le texte ne couvre pas une période très longue mais celle-ci est riche en événements, en transformations : c’est aussi l’histoire de plusieurs bascules – le passage de l’enfance à l’adolescence pour le narrateur, la sortie du colonialisme, les changements de la société, la vieillesse des parents qui n’ont plus les codes, puis qui sont frappés par le drame, la famille qui passe de quatre à trois.
Je ne comprends pas que ce livre soit si confidentiel, c’est vraiment un magnifique ouvrage, un grand coup de cœur.
Publié en 2018 chez Gallimard, 152 pages.