Une fille de province – Johanne Rigoulot

Dans « Une fille de province », Johanne Rigoulot, aujourd’hui autrice, scénariste et parisienne, a grandi à Chalon-sur-Saône. Elle se remémore sa jeunesse dans cette ville, et notamment une amie d’enfance, Sara. Toutes deux étaient dans la même école d’un quartier populaire. Si Johanne était issue d’un milieu plutôt favorisé, Sara, elle, grandissait dans la précarité, au sein d’une famille de six enfants, entre un père kabyle violent, et une mère française perdue, vivant dans un quasi bidonville.

Très jeune, Sara a des problèmes d’apprentissage, connait l’échec scolaire, la maltraitance familiale. Le système – que ce soit l’école, les assistantes sociales, les médecins – ne lui vient pas en aide. Au contraire, lorsque les premiers problèmes mentaux de la jeune fille apparaissent, elle n’est pas prise en charge correctement, mais est bourrée de médicaments nocifs…jusqu’au drame. En effet, on apprend très tôt dans le récit que Sara est décédée après avoir été la protagoniste d’un fait divers particulièrement horrible…

Moi aussi j’ai grandi dans une ville de province, donc j’ai aimé cette proximité avec le sujet mais aussi la façon dont l’autrice dépeint les lieux, les us et coutumes, la société des années 80, l’aménagement urbain…Le destin de Sara l’obsède et je comprends qu’il soit douloureux d’avoir été si proche de quelqu’un qui va être autant victime que coupable. C’est l’histoire d’un gâchis, où tous ceux qui auraient dû entourer Sara, à commencer par sa famille, ont failli. Malgré un maigre parcours scolaire, malgré ses difficultés sociales et médicales, Sara est pourtant jolie, coquette, souriante, elle trouve assez facilement des petits boulots, une façade qui cache un état mental désastreux, dont la victime va être une antiquaire qui a besoin d’une aide à domicile après une opération. Même si elles sont de milieux sociaux très différents, ce drame touche deux personnes que la société aurait dû protéger : la jeune femme précaire et schizophrène, et la dame âgée, qui travaille toujours à 87 ans car elle n’a pas de retraite (!), affaiblie par un séjour à l’hôpital.

Et plane sur l’histoire de Sara comme une sorte de pied de nez au déterminisme social, comme une sorte de reflet de ce que la jeune fille aurait pu devenir dans une vie parallèle, l’ombre d’une femme publique qui a grandi dans la même ville, qui vient d’un milieu social similaire, qui elle aussi est issue de l’immigration et d’une famille nombreuse, Rachida Dati.

Un livre à la fois nostalgique et poignant.

Publié en Septembre 2023 aux Avrils, 160 pages.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *