Je ne connaissais pas du tout Georges Hyvernaud, et j’ai lu « La Peau et les Os » sur conseil d’un ami.
Ce récit autobiographique, publié en 1949, commence en 1945, lors d’un repas de famille. Georges Hyvernaud, instituteur, incorporé dans l’armée française, a été fait prisonnier de guerre en 1940 et a passé cinq ans dans un oflag de Poméranie. Ce qu’il a vécu durant cette longue période de captivité l’a profondément changé, mais il reprend sa place dans un environnement qui semble être immuable, dans son appartement, auprès de sa femme, à son travail : « on remet sa vieille veste, on remet sa vieille vie. Comme s’il n’y avait rien eu ». Il écoute les membres de sa famille raconter l’Occupation, et se sent complètement en décalage, avec l’impression qu’ils n’ont pas vécu la même guerre : « ils baignent dans ce mythe exaltant qui est venu colorer leur vie. (…) je me sens oublié comme un mort à son enterrement »
Quant à Hyvernaud, il n’a pas souffert comme les déportés, ainsi qu’on le lui fait remarquer, il n’a pas non plus été un héros de la Résistance, juste un simple soldat dans un camp de prisonnier. Impossible d’exprimer ce qu’il a vécu, il finit par raconter quelques anecdotes comiques. En effet, « mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D’abord, ils manquent de noblesse, ils sont même plutôt répugnants, ils sentent l’urine et la merde ». « Nous n’avons à offrir, nous autres, qu’une médiocre souffrance croupissante et avachie. Pas dramatique, pas héroïque du tout. Une souffrance dont on ne peut pas être fier »
L’auteur revient ensuite sur sa captivité, la promiscuité, l’impossibilité de s’isoler, la vie qui tourne autour des latrines, l’ennui, « le malheur mou, le malheur bête », l’expérience de la pauvreté. « La pauvreté, ce n’est pas la privation. La pauvreté, c’est de ne jamais être seul. (…) le pauvre n’a pas droit à la solitude. (…) Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun ». Hyvernaud et ses camarades de chambrée, qui étaient bourgeois, diplômés, directeurs (et qui le redeviendront après la guerre) ne se supportent plus, font preuve de haine, de mesquinerie, n’ont plus de fierté, se laissent aller. Ils vivent un moment d’Histoire, qui sera un jour mentionné dans les livres, mais leur réalité est en fait un morceau d’absurdité.
Dans une langue mordante, teintée d’humour noir et de cynisme, Hyvernaud raconte ce moment où les choses qui étaient importantes ne comptent plus, où le dérisoire devient a contrario essentiel, où l’Homme revient à ses instincts primaires, où les titres, les métiers, même le savoir, sont devenus vains… une expérience qui l’a profondément bouleversé et déstabilisé mais qui ne peut être comprise par ceux qui ne l’ont pas vécue, dans cette période d’après-guerre où il sent qu’il n’a pas la légitimité de se plaindre : il n’a pas été exterminé, abattu comme les prisonniers du camp russe voisin, fusillé comme son ancien élève, torturé, ou ne serait-ce que forcé à travailler… « La Peau et les Os » sera d’ailleurs très mal accueilli à sa sortie. Un récit à découvrir!
Publié en 1949. Disponible en poche chez Pocket, 160 pages.
Ce billet d’un auteur oublié à tort fait très plaisir.. Tu as aussi Le wagon à vaches, sur les difficultés du retour à la vie civile, dans la même veine, et tout aussi excellent.
Je profite de ce passage pour te souhaiter une belle année 2021 !
Merci beaucoup Ingrid, à mon tour de te souhaiter une excellente année 2021 !
et j’ai noté également « Le Wagon à vaches », il faut que je me le procure !
Mon grand oncle a été fait prisonnier et envoyé comme homme de main dans une ferme bavaroise et a passé cinq années très calmes et il y était heureux … il est revenu à sa femme et à ses enfants mais forcément, il parlait peu de ses années là. A la fin de sa vie, il en parlait plus librement. Mais oui, la guerre a été vraiment différente pour chaque personne !
c’est un texte que je te conseille, en tout cas !