Vu son titre, je ne pouvais pas ne pas lire « La Mère d’Eva » de Silvia Ferreri, Et ce fut une très belle surprise.
Dans la salle d’attente d’une clinique serbe, la narratrice – la mère d’Eva du titre – s’adresse à sa fille qui est en salle d’opération : sa fille de dix-huit ans qui, en sortant de l’hôpital, ressemblera enfin à l’homme qu’elle se sait être depuis son plus âge.
Dans ce texte écrit à la deuxième personne du singulier, la narratrice raconte dix-huit ans d’amour et de souffrance. Une maternité qui a bouleversé sa vie, les premières années heureuses et puis très vite, des petites excentricités d’enfant : Eva affirme qu’elle est un garçon, réclame un zizi, dit s’appeler Alessandro… mais ce qui était censé n’être qu’une phase finit par durer, et le diagnostic tombe : « dysphorie de genre ». La narratrice raconte ses sentiments, ses émotions : l’incompréhension, la peur, la colère, la honte, l’impuissance, l’instinct de protection, l’espoir que tout redevienne normal et qu’Eva se sente enfin fille… la douleur de voir son enfant prisonnier d’un corps dans lequel il ne se reconnait pas, d’un corps qui est une souffrance permanente, et cet amour qui déchire, entre vouloir soutenir son enfant et tenter de l’empêcher de prendre des décisions lourdes de conséquences – entre hormones qui bloquent la puberté et chirurgie de réaffectation sexuelle.
Ce n’est pas la première fiction qui aborde la transsexualité, mais c’est le premier roman que je lis sur ce sujet qui aborde le point de vue d’un parent. Une mère face à une situation qui la dépasse et lui échappe complètement, qui doit faire le deuil de l’enfant à qui elle a donné naissance, qui doit renoncer à sa fille pour accueillir un fils, mais qui, quoi qu’il arrive, est au côté de son enfant. Et puis il y a cette peur – peur des opérations dangereuses, peur de leur irréversibilité alors que l’enfant est si jeune, peur de l’après : comment Alessandro appréhendera-t-il la réalité de ce corps fantasmé? quelle sera sa vie?
L’angle est original, la dimension psychologique est très travaillée – « La Mère d’Eva » est un livre très fin, à la fois dur et plein d’amour. Une réussite!
Publié en Juin 2020 chez Hervé Chopin, traduit par Chantal Moiroud, 217 pages.
Une de mes belles lectures de ce début d’année !
on l’a très peu vu sur la blogo…
un thème intéressant, bien sûr. Et le roman paraît drôlement réussi !
oui je te le conseille
Une de mes plus belles lectures de l’an passé.
oui c’est un roman très marquant!
C’est effectivement un livre que je n’oublierai pas…J’avoue ne jamais avoir mesuré, avant de lire ce roman, combien une personne pouvait souffrir en raison d’ une « dysphorie de genre », et ne jamais avoir vraiment pensé à la douleur et aux peurs que doivent affronter les parents, surtout à l’approche d’une opération …
Il y a beaucoup, beaucoup de souffrance dans ce livre, mais cela n’a rien de pesant, car chaque page déborde de l’amour fou de ces parents pour leur enfant, un amour qui illumine ce roman. Admiration totale pour l’écrivaine : comment peut-elle avoir imaginé, ressenti et aussi bien retransmis de tels sentiments ??
oui, je suis d’accord avec toi, c’est écrit avec beaucoup de pertinence et de justesse, difficile de se dire que c’est une fiction, et pas une histoire vraie.