C’est avec son troisième ouvrage, « Nos Richesses », que je découvre la romancière algérienne Kaouther Adimi. Deux fils conducteurs pour ce roman : la littérature et l’Algérie – et ils se rejoignent dans une librairie : « Les vraies richesses », un endroit fondé par Edmond Charlot en 1936 à Alger.
Un jeune Français d’origine algérienne, Ryad, arrive à Alger pour faire un stage : il doit vider et repeindre une annexe de la Bibliothèque Nationale d’Alger, destinée à devenir une boutique de beignets, au grand désespoir d’Abdallah, un vieil homme qui vit dans les lieux. Celui-ci se rappelle le temps où ce local était une librairie, « Les vraies richesses » – un nom inspiré par Jean Giono – créée en 1936 par un tout jeune homme de vingt-et-un ans féru de littérature, Edmond Charlot. Le récit alterne aventures de Ryad, de nos jours, et le journal d’Edmond Charlot qui décrit la passion du libraire, mais aussi les difficultés auxquelles il doit faire face. Une autre voix nous conte l’histoire de l’Algérie des années 30 à nos jours, à travers les éléments marquants de la colonisation et de sa relation avec la France.
On découvre donc cette fameuse librairie, ornée de la devise » Un homme qui lit en vaut deux ». Lors d’un voyage à Paris, Edmond Charlot avait été impressionné par la librairie d’Adrienne Monnier et avait eu envie de créer à Alger un endroit similaire, mais tourné vers la culture méditerranéenne et qui intégrerait également la langue arabe et la langue kabyle. Je ne suis pas très fan de la forme « journal », je n’aime pas particulièrement lire les Journaux de personnalités ou les romans qui en prennent la forme car je trouve souvent, et c’est le cas ici, que les entrées de journal sonnent un peu factices – j’ai également trouvé que les chapitres consacrés à Edmond Charlot étaient trop longs par rapport à ceux consacrés à Ryad ou à l’histoire de l’Algérie – mais j’ai été passionnée par l’entreprise d’Edmond Charlot (qui a vraiment existé). En effet, si de nos jours, nous appelons librairie un magasin où l’on vend des livres, « Les vraies richesses », qui remplissait également cette fonction, était aussi un endroit où l’on prêtait des livres, mais également une maison d’édition. Edmond Charlot publiera Camus, Kessel ou encore Garcia Lorca.
Il est triste de voir ce qu’est devenu le rêve de cet homme. Charlot, animé par la passion, a été confronté à des difficultés considérables, que ce soit en Algérie (française) ou en France. Des difficultés que rencontre tout entrepreneur : problèmes de gestion (accentués par le fait que la juridiction n’était pas la même en métropole qu’en Algérie), tensions avec ses collaborateurs, concurrence avec des maisons d’édition plus grandes et plus solides, difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale, mais aussi des difficultés liées au contexte des années 40 : pénurie de papier, censure, accusations diverses (il est traité de fasciste car il publie « Le Silence de la Mer » de Vercors!)… mais il est assez incroyable de penser qu’avec ses moyens limités, la maison d’édition publiait 12 à 15 livres par mois, et non des moindres. Et puis Kaouther Adimi fait renaître cette vie culturelle trépidante de l’époque alors même que le chaos régnait, et donne envie de relire Giono ou Henri Bosco (petit clin d’oeil, « L’enfant et la rivière » est le premier roman que j’ai lu toute seule 🙂 )
Ryad, qui a vingt ans, à peu près le même âge que Charlot quand il ouvrit « Les vraies richesses », représente la modernité. C’est un jeune homme sympathique, mais qui n’aime pas lire, qui ne s’intéresse pas à la littérature, et qui – au début tout du moins-, n’a pas conscience du trésor auquel il est confronté. J’ai frémi plusieurs fois lorsqu’il mettait à la poubelle des documents à la valeur culturelle – voire même financière! – considérable. Pourtant, il finit par être gagné par le charme des lieux, mais est alors confronté à la lourdeur administrative du pays, et même à la surveillance de la police!
Et puis c’est aussi l’histoire de l’Algérie qui se dessine, des années 30 à nos jours. Avec bien sûr la colonisation, qui fait des « indigènes » des citoyens de seconde zone, qui n’ont la plupart du temps pas accès à l’école, donc à la maîtrise de la lecture et de l’écriture. Kaouther Adimi nous rappelle – ou nous apprend, car que savons-nous encore de la colonisation et de la guerre d’Algérie? – les événements marquants de la relation franco-algérienne durant la colonisation, notamment les massacres de Sétif ou ceux de Paris en Octobre 1961.
J’ai trouvé cette lecture très intéressante sur le plan historique mais aussi très plaisante pour cette passion pour la littérature qu’elle communique. J’ai vraiment aimé découvrir l’histoire d’Edmond Charlot et me retrouver plongée dans le milieu littéraire des années 30 et 40, des deux côtés de la Méditerranée. En peu de pages, Kaouther Adimi a réussi à aborder de nombreux sujets, sans superficialité. Lors de ma lecture, j’ai quand même trouvé que les entrées du journal d’Edmond Charlot étaient un peu trop scolaires, que le personnage de Ryad aurait mérité plus de densité, que le récit, pourtant passionnant, manquait parfois de souffle. Je ne suis pas non plus adepte des récits qui s’adressent au lecteur, en le vouvoyant. Mais finalement, quelques semaines après ma découverte de ce roman, je garde de « Nos Richesses » un souvenir plus plaisant que ma lecture, les défauts et les bémols se sont atténués, et j’ai eu plaisir à refeuilleter ce livre, à en relire certains passages pour écrire ce billet.
« Nos Richesses » de Kaouther Adimi est une jolie découverte, et vous pouvez d’ailleurs retrouver ici l’avis de mes collègues de Bibliomaniacs (sans le mien, pour une fois!) puisque le roman est à l’affiche de notre podcast littéraire de Novembre. Quant à moi, je vais bientôt lire un autre livre qui évoque l’Algérie, « L’Art de Perdre » d’Alice Zeniter.
Publié en Août 2017 au Seuil, 224 pages.
25e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017.
je te rejoins sur le souvenir plus plaisant qq temps après la lecture parce que sur le coup, j’ai été un peu déçue (j’en attendais trop sans doute et j’ai considéré que ça manquait un peu d’ampleur), mais c’est un roman-récit que j’ai aimé !
oui je l’ai trouvé un peu lisse, un peu scolaire, à la lecture, mais finalement, c’est un livre qui tire son épingle du jeu sur la longueur…
Toi et Virginie avaient noté les mêmes bémols – la forme journalistique mais sinon oui la passion de la littérature, le courage d’affronter de multiples obstacles ..
J’ai, comme toi, noté que publier une critique plusieurs semaines après sa lecture, permet parfois de réaliser que le livre est quand même resté « en nous » ou au contraire, qu’on a totalement oublié l’histoire alors qu’au lendemain de la lecture, on l’avait trouvé très bien…
oui, et finalement, c’est ce qui compte…j’ai des romans que j’ai trouvés excellents en 2016, et pourtant je peine aujourd’hui à me souvenir de l’histoire!
je suis comme toi, après quelque temps, je ne garde que le positif mais pour les bémols c’est le style sec et lapidaire des carnets qui m’a dérangée. J’ai, par contre, beaucoup aimé le vouvoiement…
Je vais bientôt le récupérer à la bibliothèque. Il ne m’attirait pas plus que cela au départ, mais une rencontre organisée par ma librairie avec Khaouter Adimi, Alice Zeniter et Caroline Laurent m’a donné envie de le lire (comme les deux autres d’ailleurs, énorme coup de coeur pour le livre de Caroline Laurent et je suis en train de lire celui de Zeniter qui me plaît beaucoup).
Oh L’enfant et la rivière, j’ai tellement aimé ce livre ! Et Le renard dans l’île de Bosco aussi ! Mais ma petite lectrice n’en est pas encore là.
ah génial cette rencontre! j’aurais adoré! J’ai également eu un coup de coeur pour le livre de Caroline Laurent!
Toujours pas convaincue, je lis les mêmes bémols sur l’écriture, c’est dommage pour ce beau sujet. Nous nous retrouvons pour » L’enfant et la rivière » 😉
le livre est court, tente-le, au pire tu n’y passeras beaucoup de temps!
du coup, j’ai vraiment envie de relire L’enfant et la rivière!
pour info, il vient d’avoir le Prix Renaudot des Lycéens.
oui j’ai vu, très contente pour elle !
Il me fait très envie celui là !!
J’espère qu’il te plaira!
Ce livre a l’idée ambitieuse d’inventer le journal intime d’Edmond Charlot se révèle tres decevant.. En effet, l’écriture est trop classique et les notes du faux journal d’Edmond Charlot sont souvent ennuyeuses. L’auteur en profite également pour régler ses comptes avec la France, pays où elle a choisi de vivre depuis 2009. Elle rappelle à juste titre les crimes commis par Maurice Papon en France sur des Algériens tout en faisant paradoxalement de Houari Boumediene un héros alors qu’il a tué beaucoup plus d’Algériens que Papon. L’auteur reproche également à la France d’engloutir les immigrés algériens qui reviennent fatigués est brisés en Algérie parce qu’ils ont trop travaillé dans les usines françaises.
On ne sait pas trop où veut en venir l’auteur, mais, Kaouther Adimi à clairement mis sur papier ses idées anti françaises alors même qu’elle vit en France et qu’elle est bien contente de profiter de notre système.
J’adore les écrivains algériens comme Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Kamel Daoud, Boualem Sansal..etc…
Après avoir lu le livre de Kaouther Adimi, je suis sûr d’une chose c’est qu’elle ne ressemble à ces grands écrivains.
Elle a le droit de souligner dans ses livres les exactions francaises. En plus vous récupérez un ecrivain de qualite donc manquerait plus que vous veniez vous plaindre.
Relisez mon commentaire, je n’ai jamais contesté à cette personne le droit de dénoncer les exactions françaises.
Je dis simplement qu’il est curieux de stigmatiser Maurice Papon qui est un criminel avéré, et, dans le même temps, de faire l’eloge de Houari Boumediene qui est un criminel tout aussi dangereux et sanguinaire.
De plus, quand on a choisi de venir vivre et travailler en France, on ne peut pas ensuite accuser cette même France de nous avoir tué au travail. Tous ceux qui ont travaillé en France bénéficient d’une retraite et d’une sécurité sociale qui leur permet d’avoir une retraite à peu près honorable, ce qui ne serait absolument pas le cas s’ils etaient restés dans leur pays d’origine, l’Algerie.
Ce d’autant que Kaouther Adimi choisi de vivre en France probablement pour une vie plus confortable que dans son pays d’origine. Elle doit donc faire preuve d’un minimum de gratitude à l’égard de notre pays qui l’a accueillie.
Des écrivains d’un grand talent et d’une grande noblesse comme Rachid Mimouni, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud, Boualem Sansal etc., bien qu’ayant choisi de rester vivre dans leur pays d’origine, contrairement a Kaouther Adimi, ne sont pas aussi ingrats avec la France.
Enfin, la France possède suffisamment d’écrivains de grands talents pour ne pas avoir besoin d’en « récupérer » d’autres.
Kaouther Adimi n’est pas l’alpha et l’oméga de la littérature française. Ce n’est ni Leila Slimani, ni Michel Houellebecq sinon ça se saurait.
Elle est une écrivaine algérienne francophone comme il en existe plein d’autres.