Pour que tu ne perdes pas dans le quartier – Patrick Modiano

Je ne sais pas pourquoi – peut-être ce titre un peu incongru? – j’avais peur de ne pas aimer ce nouveau Modiano. C’est donc avec appréhension que je l’ai ouvert…appréhension qui n’avait pas lieu d’être, car j’y ai trouvé un « Modiano pur jus ». Il y a tous les ingrédients phares qui ont fait le succès de l’auteur nobélisé… et grincer les dents de ceux qui ne l’apprécient pas.

Cela commence comme un roman policier : un écrivain solitaire d’une soixantaine d’années qui ressemble fortement à Modiano, Jean Daragane, reçoit un jour un mystérieux coup de téléphone d’un homme tout aussi mystérieux (pour ceux qui n’en ont jamais lu: tout est souvent mystérieux chez Modiano) et à la voix « molle et menaçante » (formule qui m’a beaucoup plu!). Cet homme, Gilles Ottolini, a trouvé un carnet d’adresses qui lui appartient, et souhaite le lui remettre en personne. Au café où ils se retrouvent, l’homme vient accompagné d’une jeune femme (mystérieuse, forcément), Chantal, et lui dit être tombé, en feuilletant le carnet, sur un nom qu’il connait : « Guy Torstel ». Par l’intermédiaire de Chantal, Jean a accès à un dossier compilé par Gilles sur la mort mystérieuse d’une jeune femme il y a cinquante ans : Jean y retrouve quelques noms qu’il connait, dont celui de sa mère, et celui d’une jeune femme, Annie Astrand, avec qui il a vécu à Saint-Leu-la-Forêt lorsqu’il était enfant… ainsi qu’une photographie de lui à cette époque. Il se remémore donc cette période, et ses retrouvailles avec Annie, quinze ans après, alors qu’il venait de sortir son premier roman, « Le Noir de l’Eté ».

Ne pensez pas trouver de réponses aux questions qui jailliront à la lecture du roman, il n’y en a pas … pourquoi Jean avait-il été confié à Annie? Qui a tué son amie? Pourquoi Annie voulait-elle partir en Italie avec le garçon? A-t-elle vraiment fait de la prison et pourquoi? Pour quelle raison Gilles s’intéresse-t-il à ce fait divers et veut-il approcher Jean Daragane? Le but de ce roman n’est pas de résoudre, c’est un roman d’atmosphère, un peu brumeuse comme la mémoire d’Annie, avec des personnes toujours un peu interlopes, dans des lieux où l’on flirte avec la débauche – les hippodromes, les casinos, les cabarets – des solitudes, des abandons, des faits divers non élucidés, des femmes qui changent de prénoms, des coïncidences de noms et d’adresses entre le passé et le présent, et ce côté un peu suranné qu’il y a toujours dans les romans de Modiano (qui de nos jours se promène avec un carnet avec des numéros de téléphone, alors que tout le monde ou presque a un portable?). Et toujours cette importance du lieu, de l’adresse exacte et des souvenirs qui y sont liés.

Les personnages du présent, Gilles, Chantal, sont-ils d’ailleurs réels ? On peut soupçonner qu’ils appartiennent à l’imagination de Jean, tant les coïncidences avec le passé sont nombreuses : les adresses, le prénom (quelle femme de trente ans de nos jours changerait de prénom pour s’appeler Chantal?), cette robe abandonnée dont l’étiquette lui semble familière … mais peu importe finalement : encore une fois, ce roman n’est pas là pour répondre aux questions.
Je suis sortie de ce roman la tête un peu brumeuse, encore dans l’univers modianesque, comme après avoir été réveillée brutalement pendant un rêve, toujours entre deux mondes. C’est un très beau Modiano, qui ravira certainement les fans de l’écrivain, et qui sera une introduction directe dans son univers pour ceux qui ne le connaissent pas.

Les avis de Galéa (Modianette en chef) et de Laure (Modianette débutante).31e contribution au Challenge 1% rentrée littéraire 2014 organisé par Hérisson. J’entre dans mon 6e %!

10 commentaires sur “Pour que tu ne perdes pas dans le quartier – Patrick Modiano

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