Les règles d’usage – Joyce Maynard

Aimant beaucoup Joyce Maynard dont j’ai lu tous les romans déjà traduits en français, j’étais très impatiente de lire sa nouvelle publication, « Les Règles d’Usage ». Je dis nouvelle publication et non nouveau roman, car ce livre est sorti en 2003 aux Etats-Unis. La précision est importante, car le sujet des « Règles d’Usage » est le 11 Septembre 2001…Ce roman a donc été écrit très peu de temps après la catastrophe.

Le 11 Septembre 2001, la vie de Wendy, 13 ans, est brutalement bouleversée : sa mère Janet travaillait au 87e étage d’une des tours du World Trade Center. Après de longues journées d’attente, malgré les affiches de recherche et les espoirs divers – Janet va téléphoner, Janet est à l’hôpital, Janet est amnésique, Janet est réfugiée dans une poche d’air…- Wendy doit faire face à la triste réalité : bien qu’on n’ait pas retrouvé son corps, sa mère est décédée. L’adolescente, son beau-père Josh et son demi-frère Louie, âgé seulement de 4 ans, sont dévastés. Wendy doit gérer son deuil, mais aussi le chagrin immense de son beau-père et celui de Louie, qui est très perturbé par la disparition de sa mère. La jeune fille se sent également coupable car, en plein dans l’adolescence, elle avait eu récemment plusieurs grosses disputes avec sa mère, et avait employé des mots très durs à son égard. Pourtant mère et fille étaient très proches, ayant vécu longtemps en tête à tête avant que Janet ne se remarie avec Josh, un vrai papa poule qui s’occupait de Wendy comme si elle était sa propre fille. Quant au père biologique, Garrett, il s’était manifesté peut-être quatre fois depuis le divorce, il y a 10 ans. Cependant, lorsqu’il apprend la mort de Janet, il fait valoir ses droits de père et demande que Wendy le rejoigne en Californie. L’adolescente débarque donc sur la Côte Ouest et découvre un père gentil mais plutôt décontracté. Wendy profite de cette nouvelle liberté – Josh et Janet étant des parents protecteurs, avec des principes – pour sécher les cours, et va faire la connaissance d’Alan un libraire père d’un garçon autiste, de Violet une mère adolescente, de Todd un jeune marginal qui traverse les Etats-Unis à la recherche de son frère mais aussi de Carolyn, la petite amie de Garrett.

« Les Règles d’Usage » est un roman très riche, et aussi profondément humaniste. J’ai adoré le portrait de Wendy, cette adolescente qui doit gérer son deuil mais aussi refaire sa vie, à l’autre bout du pays, laissant derrière elle son beau-père et son petit frère qu’elle adore. Le récit est assez lent, Joyce Maynard prend son temps pour installer les situations et les personnages. La mort de Janet fait voler en éclats la cellule familiale recomposée : qu’arrive-t-il lorsque la personne qui décède est celle qui lie tous les membres de la famille? Tout d’un coup, un père devient un beau-père, un frère devient un demi-frère, un père biologique complètement absent devient un père.

La première partie, qui se passe à NY juste après le drame, est décrite avec beaucoup de finesse par Joyce Maynard : le chagrin des adultes, le chagrin des petits enfants, les objets, les souvenirs, la décomposition de la cellule familiale, les remords, mais aussi une vie d’adolescente qui continue : les questionnements sur le corps et la sexualité, l’amitié, le retour au collège, les virées dans les magasins…Beaucoup de petites phrases, de situations, sonnent très justes. L’auteure révèle toute sa subtilité dans ce roman qui est à mes yeux le plus abouti. 

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Joyce Maynard

La deuxième partie, qui se déroule en Californie, où Wendy a rejoint son père, pourrait être l’occasion de montrer du doigt les pères absents, de fustiger un certain style d’éducation, ou de décrire une adolescente complètement décalée dans un environnement qu’elle ne connait pas, mais Joyce Maynard a choisi au contraire d’en faire un épisode positif. Même s’il n’est pas évident pour Wendy de laisser derrière elle Josh et Louie et sa meilleure amie Amelia, avec qui elle garde cependant un contact téléphonique, même s’il est limité, cette période passée très loin du lieu du drame sera l’occasion pour la jeune fille de se reconstruire. Garrett n’est pas un papa poule comme Josh, il est assez nonchalant, mais lui qui ne s’est jamais occupé de Wendy saisit cette opportunité qui lui est donnée de tisser des liens avec sa fille. Sa petite amie Carolyn est une femme bienveillante qui sait être là pour Wendy mais d’une façon ouverte d’esprit et décontractée où rien n’est dramatisé : elle et Garrett ont confiance en Wendy et en ses capacités de s’en sortir, et lui donnent donc beaucoup de liberté, ce dont Wendy a finalement besoin pour se retrouver et faire son deuil. Le processus implique plusieurs rencontres significatives -d’adultes à l’écoute comme Alan le libraire ou d’adolescents un peu paumés comme Todd et Violet- mais aussi la littérature, notamment le Journal d’Anne Frank, « Frankie Addams » de Carson McCullers ou encore « Le Lys de Brooklyn » de Betty Smith…

Sur un sujet très douloureux, avec une catastrophe qui venait juste d’avoir lieu au moment de l’écriture des « Règles d’Usage », Joyce Maynard a réussi un roman très subtil, sans pathos, porté par un beau portrait d’adolescente. J’ai été vraiment impressionnée par la densité de ce livre et  sa finesse psychologique. Un livre qui aurait pu être triste et négatif mais qui, malgré son thème grave, est finalement positif et humaniste, une superbe réussite.

Publié en Septembre 2016 aux éditions Philippe Rey, traduit par Isabelle Delord-Philippe, 471p

12e lecture de la Rentrée Littéraire 2016

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33 commentaires sur “Les règles d’usage – Joyce Maynard

  1. Tu rends un superbe hommage à ce magnifique roman! Je l’ai adoré aussi! C’est ma plus belle lecture de Maynard jusqu’à présent. J’ai été profondément touchée par chacun des personnages de ce livre, même les secondaires qui accompagnent Wendy dans sa quête d’elle-même. Il est question de deuil évidement, mais aussi de la construction d’une ado qui a perdu ses repères et qui veut avancer, malgré la terrible épreuve qui s’abat sur eux. Émouvant, mais c’est l’espoir que je retiens!

    1. je vois qu’on est sur la même longueur d’onde! oui, malgré le drame, le deuil, la tristesse je trouve aussi que c’est un livre positif, humaniste et porteur d’espoir.
      ce livre est formidable, et je suis étonnée qu’il ait mis 13 ans à être traduit en français !

  2. J’ai lu ton livre en diagonale – je l’ai acheté lors de ma rencontre avec Joyce et je l’avais oublié dans mon programme, mais c’est décidé il sera ma prochaine lecture, comme ça je pourrais parler de l’interview – elle s’est beaucoup confiée ce soir-là et sur ce roman en particulier !

  3. Les avis que j’avais lus jusqu’ à présent avaient des bémols. J’aime beaucoup Joyce Maynard mais j’avais trouvé L’homme de la montagne un cran en dessous de ses précédents livres (traduits).

    1. J’ai également moins aimé L’Homme de la Montagne (ou plutôt j’ai moins aimé la partie « actuelle » du roman) et j’ai trouvé Baby Love assez bancal, mais celui-ci, ainsi que « Prête à Tout » me plait vraiment beaucoup

  4. J’ai bien aimé ce roman mais j’ai déploré des longueurs. Je trouve qu’il manque un peu de rythme par rapport à ses précédents. Ceci dit, il a des qualités (dont tu parles très bien) et je suis fan de l’auteure.

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