La disparition de Josef Mengele – Olivier Guez

Avoir récemment revu « L’affaire Rachel Singer » (« The Debt » en VO) un film avec Helen Mirren et Jessica Chastain où trois jeunes Israéliens du Mossad tentent d’enlever un ancien chirurgien de Birkenau à Berlin-Est, m’a donné envie de lire « La disparition de Josef Mengele » d’Olivier Guez et d’en savoir un peu plus sur celui qui fut surnommé « L’Ange de la Mort »et qui ne fut jamais capturé, mourant libre et sans avoir été jugé en 1979.

Le livre d’Olivier Guez est présenté comme un roman mais il est très informatif et écrit d’une manière plus journalistique que littéraire – même si quelques paragraphes dont plus lyriques – si bien que je l’ai plutôt appréhendé comme un document. Celui-ci commence en 1949, alors que Mengele débarque à Buenos Aires, ayant quitté l’Allemagne où il s’était caché depuis la fin de la guerre. Il a échappé aux arrestations en Europe grâce à de faux papiers, mais aussi au fait qu’il avait refusé de se faire tatouer comme SS et n’avait donc pas été identifié en tant que tel par les troupes soviétiques. C’est le début de trois décennies en Amérique du Sud pour l’ancien chirurgien d’Auschwitz.

L’homme est aidé par la fortune familiale (son père a une florissante entreprise), par un réseau de nostalgiques du nazisme, par la bienveillance du régime péroniste à l’égard des criminels de guerre, mais aussi par le fait que pendant une quinzaine d’années, retrouver les Nazis pour les juger et les condamner n’est absolument pas la priorité. L’Europe est  concentrée sur sa reconstruction, et les camps de concentration et d’extermination ne font pas la une des journaux. Mengele va vivre tranquille, sous une fausse identité, puis sous son vrai nom, jusqu’en 1959. C’est l’enlèvement d’Eichmann par le Mossad qui instaure un changement dans sa vie – il aurait d’ailleurs dû être enlevé en même temps que lui. Les mentalités changent, on parle beaucoup plus de la Shoah, des dossiers sont réouverts, des criminels nazis sont jugés : désormais, Mengele est en cavale, et il quitte l’Argentine pour le Paraguay puis le Brésil. Il a « de la chance », ses amis sont fidèles ou assez grassement payés pour ne pas le dénoncer, le Mossad, qui est sur le point de le retrouver se voit confier une mission interne jugée plus stratégique pour Israël puis sera accaparé par le contre-terrorisme, surtout après la guerre des six jours. Quant à l’Allemagne (à l’époque la RFA), elle le recherche, mais très mollement…Mengele est inquiet et paranoïaque, il va changer plusieurs fois de pays et de cachettes, mais il ne sera jamais véritablement inquiété et mourra de sa belle mort en 1979.

« La disparition de Josef Mengele » est un livre vraiment intéressant pour comprendre comment un criminel de guerre de premier plan a pu échapper à la justice pendant aussi longtemps, puisqu’il décortique autant les réseaux dont a bénéficié Mengele (réseau familial, mais aussi idéologique et politique) que les contextes sociaux et géopolitiques qui lui ont été favorables. Deux choses m’ont particulièrement interpellée dans cet ouvrage, et tout d’abord le personnage de Rolf Mengele. Rolf est le fils que Mengele a eu avec sa première épouse, qui a refusé de le suivre en cavale, et avec qui il a divorcé. Il a été élevé dans l’idée que son père est mort, et pendant de nombreuses années il va croire que Mengele, qu’il a vu quelques fois, est un oncle. (D’autant plus que la seconde épouse de Mengele est son ex-belle-soeur, la veuve de son frère). Et puis un jour, il découvre que non seulement son père est vivant, mais aussi que son père est un monstre. Jusqu’à la mort de Mengele, Rolf va osciller entre protection du père (car dénoncer Mengele c’est aussi dénoncer la famille et les amis qui ont caché, financé, tu le secret…), dégoût, et nécessité de comprendre. Rolf Mengele, qui finira par changer de nom, mériterait un roman à lui tout seul, il figure d’ailleurs dans l’essai de Tania Crasnianski « Enfants de Nazis ». L’autre fait qui m’a interpellée est que j’ai toujours pensé que Mengele, qui a commis les pires atrocités à Auschwitz – un « savant fou » qui a fait des expériences absolument innommables sur des êtres humains vivants – et il ne se contentait pas de donner des ordres, il les réalisait en grande partie lui-même, sans distance – était un psychopathe. Je m’attendais à apprendre qu’avant la guerre, il avait déjà découpé des petits camarades de classe, et qu’après la guerre, il avait également participé à des crimes, des tortures, des actes de sadisme…Or, ce n’est absolument pas le cas, et le livre le dépeint, du moins dans les dernières années de sa vie, comme un pauvre type. On est donc ici en présence de la banalité du Mal la plus horrible et sordide, avec un homme qui a eu une « parenthèse enchantée » de quelques années pour réaliser des expériences sur des personnes (Juifs, Tziganes, handicapés…) que le régime en place avait déshumanisées et qui s’est saisi avec allégresse de cette possibilité, ne se privant pas pour les traiter pire que des cobayes de laboratoire, « pour le bien de la science », pour faire avancer ses recherches scientifiques, notamment sur la gémellité. Et puis qui en 1945 a rangé ses scalpels et ses échantillons, et est passé à autre chose. Une constatation qui fait froid dans le dos.

« La disparition de Josef Mengele » d’Olivier Guez est un livre important, tant au niveau historique que pour son exploration de la nature humaine. Un ouvrage fouillé mais accessible, souvent glaçant, mais vraiment passionnant. A découvrir.

Publié en Août 2016 chez Grasset, 240 pages.

5e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017

14 commentaires sur “La disparition de Josef Mengele – Olivier Guez

  1. Comme toi j’ai apprécié ce livre. Qui ne sait rien ou pas grand-chose sur Mengele en apprendra beaucoup. C’est peut-être cet aspect très documentaire et finalement assez peu littéraire qui m’a moins enthousiasmée (car pour apprendre des choses sur Mengele, ne vaut-il pas mieux regarder un bon documentaire, il y en a…).

  2. J’ai bien envie de découvrir ce livre, il m’a l’air super passionnant, cette période de l’histoire est terrible et je ne comprends toujours pas pourquoi des telles atrocités ont pu être commises, en même temps je crois que je ne pourrai jamais comprendre mais s’immerger dans la tête d’un psychopathe me permet de ne jamais juger personne, même si eux sont plus que tout condamnable et que la justice dans ce livre va me révolter au plus haut point.

  3. Je me prépare psychologiquement à lire ce livre. Après celui de ton chouchou, que je viens de terminer, j’enchaîne avec un truc léger – pour ne pas dire inconsistant, mais comme mon fils aime je veux savoir de quoi il retourne vraiment. Je serai donc mure pour un livre de cet acabit, je pense.

    1. il y a quelques pages qui décrivent les atrocités (et c’est horrible) mais l’essentiel du livre est consacré à l’après-guerre, donc l’ouvrage est quand même accessible

  4. J’ai longtemps été intéressée par la recherche de ces nazis qui ont fui à l’étranger – que ce soit par des français ou les Israéliens, donc en lisant ton billet, je n’apprends pas grand chose mais je trouve le sujet passionnant, ton billet donne vraiment envie et l’ouvrage a l’air très bien. J’ai vu beaucoup de documentaires et je sais, que oui, il a fini comme un sale type, assez isolé au final. Il n’a pas été jugé mais sa vie n’a pas été non plus de tout repos. Je ne sais plus, mais un autre était resté tranquillement en Allemagne ! Il a vécu jusqu’en 1967 (par là..) sans souci – alors qu’il était responsable de la mort de milliers de Juifs.

    Pour Mengele, j’ai encore des images sur « ses expériences » et ce type était un grand malade ! Il a quand même découpé des personnes qui étaient encore vivantes, leur a enfoncé des pics dans les yeux ..
    J’ai vu The Debt à sa sortie au cinéma, un film sobre et parlant. On voit le fossé entre l’agent dont les parents ont été déportés et ceux qui n’ont pas connu cet enfer. Très touchant.

    Comme tu le dis, ce livre doit être lu et surtout il faut en parler.

    1. oui ses « expériences » étaient absolument atroces…d’où mon étonnement qu’il n’ait pas été impliqué dans des actes de barbarie avant et après la guerre…Olivier Guez évoque quelques personnes qui effectivement ont eu pignon sur rue en Allemagne et ont vécu tranquillou jusqu’à leur belle mort sans être du tout inquiétés… Mengele a effectivement vécu en cavale pendant 20 ans, mais toujours protégé, entouré, soigné, et dans un certain confort…

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