Le Consentement – Vanessa Springora

Difficile de ne pas avoir entendu parler du « Consentement » de Vanessa Springora, puisque ce récit autobiographique a non seulement été un succès de librairie dès le jour de sa sortie, mais a également créé une onde de choc au sujet de la complaisance dont a bénéficié Gabriel Matzneff durant des décennies, et du manque de protection des mineurs contre les prédateurs sexuels.

Vanessa Springora analyse avec beaucoup de discernement et de recul l’emprise dont elle a été victime : « un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies ». C’est à treize ans, lors d’un dîner où l’emmène sa mère, qui travaille dans le monde littéraire, que Vanessa rencontre Gabriel Matzneff, alors âgé de cinquante ans. C’est un écrivain reconnu, il est bel homme, il s’intéresse à elle, il est attentionné… Vanessa tombe amoureuse et, à quatorze ans, perd sa virginité avec lui.

Lorsque sa mère découvre leur relation, la première chose qu’elle lui dit est « mais tu ne sais pas que c’est un pédophile? ». Pourtant, elle ne cherche pas à les séparer, à éloigner Vanessa, à porter plainte, et finit même par tolérer cette liaison et à inviter Matzneff à dîner chez elles.

Vanessa Springora est lucide sur le contexte qui protège Matzneff de poursuites : plusieurs intellectuels de renom se sont prononcés contre la dépénalisation des relations sexuelles entre mineurs et adultes, quelques années auparavant. La libération sexuelle, l’interdiction d’interdire de Mai 1968 sont encore très présentes dans les esprits, et notamment dans le milieu où la mère de Vanessa évolue. Si Matzneff avait été un ouvrier, il aurait certainement été poursuivi, mais le fait que ce soit un écrivain célèbre qui ait jeté son dévolu sur sa fille, devait apparaître comme plutôt flatteur pour la mère.

Personne ne réagit : ni la mère, donc,  ni le père, ni l’entourage de Matzneff (Vanessa Springora évoque par exemple Cioran, qui était très ami avec Matzneff), ni l’entourage de la mère, ni celui de Vanessa, alors que ses camarades de classe sont au courant, ni même la police, pourtant prévenue par dénonciation anonyme.

« Si les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans sont illégales, pourquoi cette tolérance quand elles sont les fait du représentant d’une élite – photographe, écrivain, peintre? il faut croire que l’artiste appartient à une caste à part (…), une sorte d’aristocrate détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle, doit s’effacer. » « Tout autre individu, qui publierait par exemple sur les réseaux sociaux la description de ses ébats avec un adolescent philippin ou se vanterait de sa collection de maîtresses de quatorze ans, aurait affaire à la justice et serait immédiatement considéré comme un criminel. »

Idem dans le milieu littéraire et dans les médias, comme la fameuse émission de Bernard Pivot : car comme Vanessa va bientôt le découvrir, elle n’est ni la première ni la dernière adolescente dans le lit de Matzneff, qui raconte également dans ses journaux intimes, publiés, ses relations sexuelles avec des petits garçons aux Philippines.

« Aujourd’hui, alors que je suis moi-même devenue éditrice, j’ai beaucoup de mal à comprendre que de prestigieux professionnels du monde littéraire aient pu publier les volumes du journal de G., comportant les prénoms, les lieux, les dates et tous les détails permettant, du moins pour leur entourage proche, d’identifier ses victimes, sans jamais faire précéder ces ouvrages d’un minimum de prise de distance vis-à-vis de leur contenu. Surtout lorsqu’il est explicitement écrit en couverture que ce texte est le journal de l’auteur, et pas une fiction derrière laquelle ce dernier pourrait habillement se retrancher. »

Alors, certes, Vanessa n’a pas été violée, elle n’a pas subi de violence physique. Elle était amoureuse et volontaire. Mais comme elle le dit très justement, ce n’est pas elle qui était en faute, mais lui : « pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne ». Elle était consentante, mais son consentement, à quatorze ans, n’était pas éclairé : « trop jeune et inexpérimentée. (…) je ne connais ni le terme de <<pervers narcissique>>, ni celui de <<prédateur sexuel>>.

« Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide. L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. (…) La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psychologiques tels que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître. »

Vanessa Springora évoque aussi l’après : après qu’elle a rompu avec Matzneff. Crises d’angoisse, renvoi du lycée, épisode psychotique, problèmes de confiance…de grandes difficultés à se défaire de l’emprise de Matzneff, d’autant plus que celui-ci va publier plusieurs livres où apparaît Vanessa et afficher des photos d’elle sur son site officiel, mais aussi lui envoyer des lettres et, sans réponse de sa part, contacter sa directrice…

Le livre de Vanessa Springora – le seul, d’ailleurs, comme elle le fait remarquer, écrit par une adolescente ayant eu une relation avec Matzneff – est extrêmement réfléchi. Les faits sont énoncés simplement, les mécanismes sont décortiqués, la complaisance est analysée. L’accueil qu’a eu le récit montre que les temps changent et que la parole des victimes commence à être écoutée. Espérons que ce livre fera avancer le travail sur la notion de consentement éclairé et sur la protection des mineurs.  

Publié en Janvier 2020 chez Grasset, 216 pages.

6e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2020.

A voir aussi la prise de parole de Vanessa Springora dans l’émission spéciale de La Grande Librairie du 15.01.2020.

14 commentaires sur “Le Consentement – Vanessa Springora

    1. J’ai lu ce livre après avoir vu l’emission spéciale de La Grande Librairie.
      En quelques heures, sans pouvoir m’arrêter, je l’ai terminé.
      Je suis bouleversée et révoltée par ce qu’a pu endurer cette toute jeune fille, cet enfant…
      Cette femme ne sombre jamais dans l’apitoiement et c’est juste admirable.
      A lire absolument.

  1. comme tu le dis, j’espère qu’il fera avancer les choses et si comme tu le dis, elle était « amoureuse » et ses parents y consentaient, il n’en était pas de même de la prostitution infantine aux Philippines et là ses éditeurs n’ont rien dit … je trouve leur « silence » lamentable !

    1. je n’ai pas lu les passages concernant les viols aux Philippines, mais ils sont parait-il abominables… il a agi en toute impunité, et les éditeurs ont publié ça allègrement, hallucinant et lamentable

  2. Il m’attend dans ma pal dans le cadre du prix Elle et je suis ravie de le découvrir à mon tour. J’avais trouvé Vanessa Springora très intéressante et lucide dans la grande librairie.

Répondre à Karine Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *