Tout comme David Foenkinos nous a raconté Charlotte Salomon, Marie Darrieussecq nous raconte Paula Modersohn-Becker, autre femme peintre peu connue et décédée dans la fleur de l’âge.
Paula Becker est née en 1876 et grandit dans un petit village de peintres, l’équivalent allemand de Barbizon, Worpswede. Sa meilleure amie, Clara, épousera Rainer Maria Rilke. Quant à Paula, elle se marie avec un auter peintre, plus âgé qu’elle et déjà veuf, Otto Modersohn. Marie Darrieusecq nous raconte l’histoire de cette jeune femme, issue d’un milieu plutôt aisé, qui très vite, sait qu’elle veut peindre. Elle suit des cours de peinture et d’anatomie à Paris et est très vite confrontée à des dilemmes : comment concilier peinture et vie de femme mariée ? – même si elle est l’épouse d’un homme qui est lui-même peintre, si elle quitte son mari comment pouvoir être financièrement indépendante pour passer ses journées à peindre ?, doit-elle suivre les conventions sociales et avoir un enfant ou consacrer tout son temps et toute son énergie à la peinture?
Je ne connaissais pas du tout Paula Modersohn Becker avant la sortie de ce livre de Marie Darrieussecq et l’exposition toujours en cours au Musée d’Art Moderne de Paris, « L’intensité d’un regard » – jusqu’au 21 août. L’artiste est semble-t-il plus connue en Allemagne, mais sa mort prématurée à l’âge de 31 ans l’empêcha d’accéder à une vraie notoriété, malgré un style et des thèmes novateurs : Marie Darrieussecq souligne que Paula Becker sera la première à se peindre nue, à se peindre enceinte, à se peindre nue et enceinte.
L’auteure nous raconte la vie de cette femme d’exception, sa forte amitié avec Rilke, ses études poussées, son amour de Paris, sa vie de femme mariée, ses interrogations… C’est aussi le portrait de la grande Allemagne d’avant la Première Guerre Mondiale, d’avant l’arrivée au pouvoir des Nazis, où tout semblait alors possible. L’écriture est simple, belle, fluide, précise, et on sent vraiment que cette peintre a touché l’auteure, qui retrouve ici les thèmes qui lui sont chers : l’identité avec le choix du nom (Becker, Modersohn, Becker-Modersohn, Modersohn-Becker?), et l’indépendance de la femme artiste – l’importance du fameux « lieu à soi » pour pouvoir travailler tranquillement et sans être interrompue, et l’importance d’avoir ses propres finances, sans besoin de négocier avec un parent, un mari, ou de devoir chercher un emploi rémunéré. Dommage d’ailleurs que Marie Darrieussecq nous explique si tard dans le récit pour nous expliquer dans quelles conditions elle a été confrontée pour la première fois à une peinture de Paula Becker et ce qui l’a frappée dans l’oeuvre de l’artiste, car ce passage est extrêmement intéressant.
« Etre ici est une splendeur » est le très beau portrait d’une artiste novatrice et méconnue, servi par l’analyse vive et profonde de Marie Darrieussecq. J’avais lu plusieurs ouvrages de l’auteure sans accrocher à sa prose – alors que je la trouve très intéressante en interviews – mais j’ai beaucoup aimé cette biographie. Impossible de ne pas avoir envie d’aller voir l’exposition de Paula Modersohn-Becker après avoir refermé ce livre!
Publié le 17 mars 2016 aux éditions P.O.L., 160 pages.
31e participation au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de Micmélo.
Elle était l’invitée de LGL et elle m’avait donné grand envie de lire ce livre ! Moi qui aime la peinture.. dommage de ne pas être sur Paris ! ton billet est excellent !
merci 🙂 j’aime beaucoup ses interventions à LGL, tant pour ce livre que pour sa trad d’Un Lieu à Soi…elle est vraiment intéressante à écouter
c’est que ce roman commencerait presque à m’intriguer. Pourtant je ne suis pas spécialement fan de Madame Darrieussecq. Je note en tout cas.
j’avais lu Truismes et Clèves, sans les apprécier, mais celui là m’a vraiment intéressée