En pleine effervescence de la rentrée littéraire, je termine tranquillement mon programme de lecture estival avec notamment « Le Grand Marin » de Catherine Poulain, un premier roman singulier, d’inspiration autobiographique, sur une jeune femme française qui se rend en Alaska pour s’engager sur un bateau de pêche.
Lili a quitté Manosque-les-Couteaux, sans que l’on sache vraiment ce qu’était sa vie là-bas et pourquoi elle est partie. Elle se rend à Kodiak en Alaska, « the last frontier », pour devenir pêcheur, elle qui n’a jamais pêché, et qui n’a pas de permis de travail aux Etats-Unis. Elle est embauchée sur le « Rebel », seule femme de l’équipage, et va vivre au milieu d’hommes souvent cabossés par la vie, travaillant durement et sans relâche, avec la promiscuité, le manque de sommeil, le danger de ce métier très physique qui abîme les mains et les corps. Elle va aussi rencontrer « Le Grand Marin », Jude, un homme alcoolique – comme beaucoup de pêcheurs qu’elle côtoie – mais aussi ardent et très amoureux, qui voudrait qu’elle le rejoigne à Hawaï et qu’ils s’installent ensemble. Mais Lili, qui ne veut pas être « une petite femelle », est éprise de liberté…
« Le Grand Marin » est un livre qui aurait pu être publié chez Gallmeister. Catherine Poulain, qui s’inspire de son expérience personnelle – elle a été, entre autres, pêcheur en Alaska durant dix ans – nous conte une histoire rude , en phase avec la nature, et parsemée de rencontres avec des hommes et des femmes hauts en couleur à qui la vie n’a pas toujours fait de cadeaux. L’auteure possède une très belle plume, et excelle à décrire ces journées remplies d’eau, de sel, et de vent – on sent le froid, l’humidité, le poisson et la bouillie de viscères sanguinolentes. Le danger n’est jamais loin et Lili en fera l’amère expérience entre un empoisonnement du sang provoqué par une nageoire de poisson et une jambe amochée par une chute sur le bateau. Et puis c’est la vie en compagnie d’hommes, où elle est la seule femme, la seule Française. Aucun n’aura de comportement désagréable ou déplacé avec elle, mais ils ne lui feront pas de cadeau pour autant – Lili doit dormir par terre car on lui a pris sa couchette, elle est payée au lance-pierre et souvent moins que ce qui lui avait été promis.
Catherine Poulain nous fait découvrir toute une galerie de personnages souvent sur le fil du rasoir. Des hommes qui ne voient pas souvent leur famille, qui ont rarement un logement à eux et qui entre deux campagnes de pêche dorment dans des hangars ou des foyers… Quand elle n’est pas à bord avec eux, Lili les rencontre en ville, dans les bars où ils « repeignent la ville en rouge » – c’est-à-dire boivent jusqu’à tomber par terre – ou au hasard de ses pérégrinations. Nombre d’entre eux ont des problèmes d’alcool ou de drogue mais il y a une vraie chaleur dans leurs relations, une amitié, une bienveillance dont bénéficiera souvent Lili. Malgré la difficulté du métier, beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à quitter les bateaux de pêche, errant dans la ville en attendant de réembarquer. Lili aussi attrape le virus de la pêche : alors que la pêche ne devait être qu’une étape de ses aventures, Lili se retrouve aimantée à la petite ville de Kodiak, n’attendant qu’une chose : trouver un bateau qui acceptera de l’embarquer de nouveau.
Sa relation avec « Le Grand Marin » laisse entrevoir la possibilité de se poser, de vivre en couple dans une maison, d’avoir peut-être un enfant. Mais à travers cette relation, on sent surtout le besoin farouche de Lili d’être libre, de ne pas avoir de contraintes personnelles, d’attaches. Vivre dans une maison l’insupporte comme lorsqu’elle passe quelques jours de congés avec Jude chez un couple d’amis de celui-ci, qui mènent une vie « normale » : deux enfants, une jolie maison, des métiers stables. Lili s’ennuie, étouffe…elle aime être avec des marginaux, être sur la route, dormir dans des voitures, ne rien devoir à personne. Pourtant ce n’est pas une zonarde, elle travaille, et dur, a une conscience professionnelle et respecte les règles à bord, ne boit pas sur le bateau contrairement à d’autres, a des projets et des buts. Elle est juste éprise de liberté.
J’ai été très agréablement surprise par la plume de Catherine Poulain qui sait très bien créer des atmosphères, décrire des situations, créer des personnages très incarnés. A travers ses descriptions on accompagne vraiment Lili, sur le bateau ou à terre. Difficile de ne pas s’attacher à la jeune femme qui veut vivre d’une certaine manière et s’en donne les moyens, sort en permanence de sa zone de confort, se met en danger, se fait respecter dans un milieu où elle est à la fois femme, étrangère et novice. J’ai lu dans certains billets que le récit tournait parfois en rond, et effectivement c’est le cas, mais je pense que cela dépeint bien la routine de la pêche mais aussi l’état d’esprit de certains personnages rencontrés voire même parfois de Lili quand ils sont à terre : des journées sans vrai but, à boire et à attendre un bateau ou une nouvelle campagne de pêche, à parler de projets qui ne se réaliseront sans doute pas car les hommes sont trop accros à la pêche, envisagent de tourner la page pour s’installer dans un autre Etat en rejoignant femme et enfants, en achetant une maison, mais rempilent indéfiniment. « Le Grand Marin » de Catherine Poulain est un très beau premier roman, et un superbe portrait de femme. Vu toutes les expériences qu’a vécues l’auteure – au choix employée d’une conserverie en Islande, barmaid à Hong Kong, bergère dans les Alpes, viticultrice dans le Médoc…et je pense que la liste est non exhaustive… – j’ai hâte de lire son prochain roman!
Publié en Février 2016 aux Editions de l’Olivier, 372 pages.
32e participation au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de MicMélo
Je ne sais pas pourquoi mais malgré tous les avis positifs, les prix etc… je n’arrive pas à me dire que ce roman est fait pour moi. J’ai tort peut-être… J’attendrai sa sortie poche, ça vaut mieux 😉
ou l’emprunt à la médiathèque 🙂
je vote pour la BM ! j’ai vu une itw d’elle à la télé et cela a attisé ma curiosité mais bon d’abord la PàL et le Festival America 😉
entre la PAL, le Festival America et la Rentrée Littéraire, ça devient compliqué 😀 c’est pour ça que je voulais profiter de l’été pour rattraper les lectures qui me faisaient vraiment envie avant d’arriver à Septembre et me retrouver noyée sous les envies!
Chez Gallmeister, tu y va fort. Franchement, même si j’ai pris du plaisir à lire ce livre, je ne trouve pas que sa qualité littéraire soit du niveau d’un Gallmeister 😉
quand je lis » Dernier jour sur terre » de David Vann, je me dis que la qualité littéraire du Grand Marin est bien meilleure ^^
Il t’a vraiment plu… Moi, les longueurs ont un peu entamé mon plaisir même si je suis d »accord avec toi cela traduit parfaitement l’atmosphère ce « tourner en rond » a fini par m’agacer… mais c’est quand meme un excellent premier roman et je lirai son prochain avec intérêt.
oui elle a de quoi écrire pas mal de livres avec toute son expérience !
Ton billet est très beau et ça me conforte dans l’idée qu’il faut absolument que je le lise !
On devrait se faire une émission sous le thème « Voyage » ?!
ah oui ce serait sympa !
Je suis comme Noukette. Sauf que je pense que je ne le prendrai pas à la bibli. Il y a des livres, comme ça, qui ne vous parlent pas…
et déjà tellement qui nous parlent 🙂
Ce livre a tellement fait parler de lui que je pense le lire un jour.
C’est un superbe roman ! 🙂
contente qu’il t’ait plu également !
À le voir ici et là, et toi qui enfonce le clou… Je suis de plus en plus tentée. Et le thème m’intéresse. J’attends sa sortie en poche pour mettre la main dessus.
Je pense vraiment que c’est un livre qui te plaira!
Il m’a tenté tout l’été ce roman là, je vais finir par mr laisser tenter 🙂
avec la canicule ça faisait du bien de lire un livre qui se passe en Alaska 🙂