Eden Utopie – Fabrice Humbert

Après s’être inspiré de l’histoire paternelle dans « L’origine de la violence », Fabrice Humbert, dont la famille semble être une source d’inspiration constante, s’attelle maintenant au côté maternel avec « Eden Utopie »…

Vu ce que j’avais entendu du livre, je pensais qu' »Eden Utopie » évoquait la vie dans un phalanstère, mais ce n’est pas du tout le cas. Fabrice Humbert, inspiré par les Rougon-Macquart nous livre un récit à la base autobiographique mais quand même romancé car des noms et des faits ont été changés, sur trois générations, dans lequel nous entrons avec un arbre généalogique simplifié

Ce récit débute avec deux cousines  qui vont connaitre des destins bien différents même si elles restent très proches l’une de l’autre, notamment par leur pratique commune du protestantisme autour de la Fraternité, une sorte de foyer culturel construit par plusieurs familles protestantes de Clamart (dont la famille Jospin) : en effet, si Madeleine a souvent des problèmes d’argent, doit même se séparer de deux de ses enfants, et vit clairement dans un milieu ouvrier, Sarah, de par son mariage avec un ingénieur, intègre la petite bourgeoisie.

Les années 60 marquent un tournant décisif dans l’histoire de ces deux branches familiales. En effet, la plus jeune fille de Madeleine – Danièle, la mère de Fabrice Humbert – vive et très jolie, fait un beau mariage puisqu’elle épouse un cadre de Renault qui deviendra plus tard président d’Air Inter. A eux les grands appartements parisiens et les festivals du Sud de la France, tandis que les enfants de Sarah choisissent de travailler en usine ou dans le secteur social. Dans les années 70 et 80 leurs propres enfants continueront dans la même direction, mais de façon plus musclée : Elise, petite-fille de Sarah, passera plusieurs années en prison pour avoir côtoyé les membres d’Action Directe.

J’ai trouvé ce récit passionnant. Alors oui, c’est une histoire personnelle, mais elle est quand même très universelle. C’est une vraie radiographie de la société française du XXe siècle, vue à travers le prisme du protestantisme et de ses valeurs. J’ai aimé le fait que les modèles ne soient pas figés, que de génération en génération les ouvriers ne restent pas ouvriers, tout comme les bourgeois ne restent pas bourgeois. Fabrice Humbert montre que tout peut basculer, dans un sens comme dans l’autre et part à la rencontre de cette autre branche de la famille, pour recueillir les paroles des tantes et cousins. J’ai moins aimé les parties que l’auteur consacre à lui-même et à son adolescence même s’il ne manque pas d’humour et d’auto-dérision pour tacler l’adolescent rêveur qu’il était, et parfois aussi ce petit côté revanchard que j’ai ressenti – peut-être à tort?-, de façon très furtive, du contentement de la branche pauvre d’être finalement passée du bon côté de la barrière tandis que les ex-bourgeois subissent un recul social et économique.

Ce qui m’a beaucoup intéressée, c’est l’analyse de ce qui a poussé cette générations post- soixante huitarde vers le terrorisme : pour le frère d’Elise, leur éducation protestante les a préparés au militantisme pur et dur, avec le goût pour la communauté et la rigidité de pensée, mais il y a aussi cette sensation d’arriver après la bataille, alors que les pères avaient vécu la seconde guerre mondiale, et les frères s’étaient illustrés pendant Mai 68, qui pousse à se radicaliser. Fabrice Humbert évoque notamment deux livres, « Le jour où mon père s’est tu » de Virginie Linhart, que je viens de me procurer, et les deux volumes de « Génération » de Patrick Rotman et Hervé Hamon, avec lesquels je souhaiterais compléter ma lecture.J’ai été passionnée par « Eden Utopie » de Fabrice Humbert, que j’ai lu quasiment d’une traite, j’ai plongé avec grand intérêt dans cette famille aux destins pluriels et mouvementés. Un livre très différent de « L’origine de la violence » ou de « La fortune de Sila » mais qui m’a plu tout autant.

Publié le 26 Février 2015 chez Gallimard, 288 pages.

 

31e participation au Challente Rentrée Hiver 2015 organisé par Valérie et hébergé par Laure de Micmelo.

10 commentaires sur “Eden Utopie – Fabrice Humbert

  1. J'avais trouvé Génération absolument passionnant, et j'avais beaucoup aimé un précédent livre de cet auteur, La fortune de Sila.
    En revanche, j'avoue n'avoir pas du tout accroché avec ce livre, même s'il ne manque pas d'intérêt. Mais j'ai trouvé qu'Humbert hésitait trop entre récit autobiographique et document, entre un parti pris résolument personnel et le recul du journaliste pour parler vite. J'ai vraiment eu l'impression qu'il hésitait entre deux livres, ce qui m'a vraiment gênée…
    Si tu le souhaites, je t'invite éventuellement à lire le billet que j'avais publié sur mon blog. Tu me diras si tu as perçu quelque chose de cet ordre ou pas du tout !
    http://delphine-olympe.blogspot.fr/2015/02/eden-utopie-fabrice-humbert-gallimard.html

  2. @Delphine Olympe : j'ai hâte de lire le Linhart et Génération…j'avais lu ton billet avant ma lecture d'ailleurs. Je comprends ce que tu dis car effectivement Fabrice Humbert est pris en porte à faux entre son côté partie prenante puisqu'il fait partie de la famille et son côté enquêteur…mais je n'ai pas été gênée par cette position effectivement un peu inconfortable (même si, comme je l'écris, j'ai senti parfois un petit côté "revanchard" dans certaines réflexions), et ça n'a pas entamé mon plaisir de lecture. ce qui est un peu dommage, c'est qu'il a changé certaines choses, notamment les noms de famille alors qu'il présente bien le livre comme un récit autobiographique, donc forcément se pose la question de savoir s'il a également inventé ou changé certains faits qu'il relate.

  3. Ce que tu en dis me fait penser que ce roman pourrait aussi me plaire. J'aime toujours les romans où on découvre des pratiques religieuses (je ne connais pas spécialement le protestantisme) et où on entre dans des milieux sociaux différents.

  4. Je ne connais aucun de ces livres même si j'ai déjà entendu parler de lui (et vu à LGL) ce récit m'intéresse car il est historique et les années 70 qui ont vu cette bascule vers le terrorisme m'intéresse beaucoup. Donc je le note, merci !

  5. @Electra : moi aussi cette période post Mai 68 m'intéresse beaucoup, c'est une des raisons pour laquelle j'avais vraiment envie de lire ce livre

    @Fleur: c'est plus l'esprit protestant qui est mis en avant plutôt que les pratiques, mais c'est vrai que le protestantisme est peu représenté dans la littérature française. Je pense effectivement qu'il te plaira

    @Laure et Sandrine : oui le billet était censé être publié le 29 mais un bug l'a sauvagement mis en ligne le 17…alors que le billet n'était même pas fini! Heureusement je m'en suis aperçue assez vite mais c'était super bizarre. J'ai quand même réussi à changer la date, car les billets suivants se plaçaient en dessous comme des billets plus anciens et pas au-dessus!

  6. il est dans ma LàL

    Pour ton petit souci de publication, ça m'est arrivé aussi – j'avais écrit un billet puis je l'avais oublié et quand je l'ai publié il n'apparaissait pas (il s'était glissé à la date réelle de création trois semaines avant) 🙂 Depuis, je fais attention si je veux publier un billet vieux de quelques jours de bien me placer dans le titre, faire tab – save et publier. J'ai remarqué qu'ainsi jamais de bug !

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