« Comment marier Chani Kaufman » d’Eve Harris est un roman dont je n’avais jamais entendu parler, écrit par un auteur que je ne connaissais pas, et sur lequel je suis tombée en allant à la médiathèque. C’est donc par le plus grand des hasards que j’ai ouvert ce livre, qui nous fait découvrir la communauté juive orthodoxe de Londres.
Ce roman nous présente deux femmes issue de la même communauté, chacune à la croisée des chemins. A Londres, de nos jours, Chani est une jeune fille de dix-neuf ans, issue d’une famille modeste qui compte huit enfants – toutes des filles. Elle est sur le point de se marier avec Baruch, un jeune homme du même âge, mais qui vient d’un milieu fortuné. Pour sa préparation au mariage, elle s’adresse à la femme du rabbin, Rivka. Celle-ci, âgée de quarante-quatre ans, traverse une période de crise. Bouleversée par un drame qu’elle vient juste de vivre, elle s’est éloignée de son mari, Chaïm, et a de plus en plus de mal avec la rigueur du judaïsme orthodoxe, elle qui a grandi dans une famille non religieuse.
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« Comment marie Chani Kaufman » évoque le judaïsme orthodoxe du point de vue féminin. Difficile de ne pas s’attacher à ces deux femmes, chacune déchirée entre ses aspirations et les contraintes du monde dans lequel elle vit. Chani, qui a toujours vécu dans cette communauté, a été élevée dans un vase clos. Depuis qu’elle est petite, on lui a toujours répété que le projet le plus important de sa vie est de trouver un mari et d’avoir des enfants. Trouver un mari pour leurs huit filles est donc une angoisse permanente pour les parents Kaufman, et Chani participe à des chidours, des rencontres arrangées par une marieuse. Après deux ou trois rencontres, il est d’usage que les jeunes gens se fiancent, et le mariage est organisé peu de temps après. Le jeune Baruch repère Chani à la synagogue et veut à tout prix l’épouser contre la volonté de sa famille, qui juge que la jeune fille ne vient pas d’une famille assez fortunée et qui n’apprécie pas qu’elle ne fasse pas d’études alors que Baruch est un étudiant très brillant. Chani apprécie Baruch, mais est paniquée à l’idée de se marier avec quelqu’un qu’elle n’a vu que quelques fois, et surtout elle ne sait pas du tout ce qu’elle est censée faire pendant la nuit de noces…
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Eve Harris |
L’auteur met bien en valeur les pratiques maritales de la communauté juive orthodoxe. Les mariages ne sont pas des mariages d’amour : ce sont des rencontres arrangées, sur la base de critères de degré de religiosité et de milieux sociaux. Les jeunes filles doivent avoir une bonne pratique religieuse, être modeste et être préparée à bien tenir un foyer. Une fois qu’elles sont mariées, les habits informes et ternes sont de rigueur, ainsi que le port de la perruque et les nombreux enfants. Chani ne trouve pas très ragoûtantes ses voisines et ses sœurs mariées, qui à cause de leur habillement et de leurs grossesses successives, ressemblent à de petits pots de tabac fatigués, qui font facilement dix ans de plus que leur âge, tout comme sa mère qui ne s’en sort pas avec sa nombreuse progéniture et à qui Chani reproche de n’avoir pas pu lui consacrer assez de temps, puisqu’elle n’était qu’une enfant parmi huit. Les jeunes gens ont à peine eu le temps de se rencontrer trois ou quatre fois en tête à tête qu’ils sont déjà mariés, d’ailleurs même Baruch qui avait repéré Chani et s’est battu pour que ses parents consentent au mariage, n’est pas sûr de reconnaître sa future femme à leur propre mariage. Ils n’ont aucune éducation sexuelle, ne savent même pas ce qu’il doit se passer durant la nuit de noce, et comment cela va se passer. Ils ne reçoivent bien entendu aucune information sur la contraception, le but d’un mariage étant de faire des enfants, et autant que possible.
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Contrairement à Chani, qui a toujours vécu dans la communauté et n’a aucune idée des moeurs ayant cours dans les familles non juives ou non religieuses, Rivka vient d’une famille juive non religieuse, et a fait un mariage d’amour avec Chaïm. C’est ensemble qu’ils se sont progressivement rapprochés de la religion, pour devenir finalement juifs orthodoxes, et respecter scrupuleusement toutes les lois, Chaïm étant devenu rabbin. Mais lorsque Rivka est victime d’un drame, et que Chaïm pense d’abord au respect des lois avant de penser au bien-être de sa femme et à sa souffrance, celle-ci ne peut plus supporter sa religion et remet en question sa pratique religieuse. A travers la famille de Chaïm et Rivka, on découvre également l’histoire d’Avromi leur fils aîné, qui fréquente une université non religieuse et est très attiré par une de ses camarades de classe qui n’est pas juive, ce qui pose un dilemme majeur : s’il donne suite à cette relation, il devra sortir de la communauté ; mais s’il veut continuer à faire partie de la communauté et à vivre comme il le fait depuis qu’il est né, il doit renoncer à cette relation.
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« Comment marier Chani Kaufman » est un roman passionnant et très abordable, même pour les personnes qui ne connaissent rien au judaïsme orthodoxe. A travers le portrait de ces deux femmes, Eve Harris nous fait pénétrer dans une communauté fermée, avec ses rites particuliers et ses façons de vivre qui sont très éloignées des mœurs actuelles. Même si les sujets abordés sont plutôt graves, le récit ne manque pas d’humour : Chani est plutôt impertinente, et les épisodes où elle est à l’école ou ses échanges piquants avec sa future belle-mère sont drôles et vivants. Je n’ai pu m’empêcher de me sentir désolée pour ces jeunes gens qui sont précipités de l’adolescence au monde adulte, eux qui la veille ne connaissent rien du fonctionnement de leur corps et de la sexualité et qui le lendemain, sont mariés avec une personne presque inconnue et doivent fonder une famille, tenir un foyer et mener une vie qui semble tout sauf enviable. « Comment marier Chani Kaufman », basé sur deux héroïnes attachantes, est un beau roman à découvrir, qui nous fait entrer de façon dérobée dans ce monde suranné.
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Publié le 5 Mars 2015, aux Editions Plon, traduit par Christine Rimoldy, 381 pages.
39e participation au Challenge Rentrée Hiver 2015 organisé par Valérie et hébergé par Laure de Micmelo et 4e participation au Challenge « A year in England ».
Le sujet ne m'attire pas une seconde mais tu en parles très bien.
@ Jérôme : dommage, je ne t'aurai pas convaincu 🙂
C'est vrai que les traditions de la religion juive nous semblent bien surannées, d'autant plus que nos ancêtres féministes se sont battues pour éviter les mariages arrangés ! Ce monde très codifié semble en tout cas très propice à la fiction.
Tout cela est bien éloigné de moi… Mais ce pourrait justement être une bonne raison de lire ce livre !
@ Delphine Olympe : exactement! surtout que c'est très bien décrit.
@ Titine : oui c'est un monde assez opaque et mystérieux, bien dépaysant pour une fiction
Je l'ajoute dans ma LAL car comme tu le sais, c'est une thématique qui m'intéresse beaucoup.