Voilà un roman que je n’aurais pas remarqué s’il n’avait pas été sélectionné pour le Prix Orange 2017 dont Fleur était l’une des jurées – Prix qu’il a d’ailleurs gagné! Et cela aurait été bien dommage car Louis-Philippe Dalembert évoque dans « Avant que les ombres s’effacent » un aspect méconnu de la Seconde Guerre Mondiale, une époque qui a pourtant généré énormément de livres, films, et séries.
C’est par le récit de Ruben Schwarzberg, âgé de quatre-vingt-quinze ans, que l’auteur haïtien évoque un fait que je ne connaissais absolument pas : alors que beaucoup de pays fermaient leurs portes aux réfugiés juifs, Haïti, dès 1939, adopta un décret donnant la nationalité haïtienne à tout Juif qui en ferait la demande, et ceci sans avoir besoin d’être présent sur le sol haïtien (in absentia)
Le roman nous raconte l’histoire de la vie de Ruben, né en 1913 dans une famille juive qui s’installe à Berlin alors qu’il n’est qu’un enfant. C’est la nuit de Cristal en 1938 qui pousse les Schwarzberg à émigrer. La tante Ruth décide de partir en Palestine. Le beau-frère de Ruben ayant obtenu un poste de professeur à Columbia, la sœur de Ruben, Salomé, part à New York, emmenant avec elle ses parents et sa grand-mère. Il ne reste donc plus en Allemagne que Ruben, âgé de vingt-cinq ans, et son oncle Joe. C’est dans le camp de Buchenwald, par un détenu noir qui se dit américain, que Ruben entend parler de la communauté haïtienne de Paris. S’il essaie d’abord de partir pour Cuba sur le paquebot Saint-Louis (un épisode historique raconté également par Leonardo Padura dans « Hérétiques »), c’est en France qu’il atterrira, une étape avant d’arriver finalement à Haïti.
« Avant que les ombres s’effacent » est un roman très plaisant, je me suis facilement attachée à Ruben au gré de ses pérégrinations. Le livre a le mérite de mettre en lumière l’attitude admirable – et rare – d’Haïti envers les Juifs pendant la guerre, un fait qui est resté très longtemps confidentiel. Je ne sais pas du tout par contre, si ces facilités de naturalisation étaient connues dans les années 30, car je n’avais jamais encore entendu parler de familles juives réfugiées à Haïti (d’après un article que j’ai lu par la suite, il y aurait eu environ 300 familles accueillies à la fin des années 30). Il est bon de mettre en avant cet acte, surtout qu’on parle beaucoup de la grande pauvreté de ce pays francophone et des malheurs qui le frappent (séisme, choléra…) et très peu de l’attitude de ce pays et de la richesse de sa culture, notamment au niveau littéraire.
J’ai néanmoins quelques bémols sur « Avant que les ombres s’effacent » : j’ai parfois eu du mal avec le style du récit, qui mêle niveau de langage soutenu et expressions familières voire argotiques tombant comme un cheveu sur la soupe. Le roman m’a également semblé parfois un peu léger – alors, certes, il est rare de lire des livres se passant durant la seconde guerre mondiale qui aient un point de vue positif et plein d’espoir et où il y a finalement très peu de morts, surtout quand on parle d’une famille juive, d’où peut-être l’impression de légèreté, mais j’ai parfois trouvé que le récit manquait de densité, et je ne suis pas sûre que l’histoire de Ruben me marque durablement, même si je me souviendrai bien sûr du rôle d’Haïti dans le sauvetage des Juifs. Et puisque Haïti a un rôle central dans le récit, dommage que la période où Ruben vit dans l’île soit finalement si vite expédiée, j’aurais aimé en savoir plus sur ce pays, sa culture, ses moeurs plutôt que sur la vie de la famille Schwarzberg à Berlin, qui était somme toute assez banale et sans grande aspérité.
« Avant que les ombres s’effacent » de Louis-Philippe Dalembert est un livre qui se démarque de la majorité des romans abordant la Seconde Guerre Mondiale, surtout via l’angle d’une famille juive, car il est plutôt positif et porteur d’espoir. J’ai des bémols sur ce roman, mais il se lit avec plaisir et il est très intéressant au niveau historique, avec un thème vraiment original, deux bonnes raisons de le lire cet été!
Publié en Mars 2017 chez Sabine Wespieser, 296 pages.
27e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2017
Ton billet me rappelle que j’ai « Hérétiques » dans ma PAL depuis sa sortie… Ça ferait un bon roman de vacances… mais là présentement, mes deux (tout petits !) cartons de livres à emporter sont pleins…
j’ai pas mal de bémols sur Hérétiques, mais la partie qui se passe pendant la seconde guerre mondiale est vraiment réussie
C’est le premier billet mitigé que je lis sur ce roman…
Moi, j’aime bien quand différents niveaux de langage s’entremêlent. Mais, évidemment, encore faut-il que ce soit réussi !
je suis comme toi, je n’aime pas faire comme tout le monde 😉
Je n’ai rien à dire sur le niveau de langage, après tout ça a fait passer l’histoire plaisamment, car la période n’était pas propice à s’amuser (quoique j’ai (re)découvert qu’on s’amusait bien à Paris fin des années 30). C’est sûr que la famille entière passe ‘entre les gouttes’, et je m’attendais à ce qu’une plus grande partie de l’histoire se passe en Haiti. Comme toi je retiens la belle attitude des Haitiens sur ce coup là!
ah oui, une attitude admirable!
j’aime parfois le mélange de langage soutenu et familier… à voir! Je connais le nom de cet auteur sans savoir le replacer…
peut-être parce qu’il s’appelle comme d’Alembert, celui qui a fait l’encyclopédie?
Je l’avais repéré mais tu me refroidis du coup.
ah non, lis-le, effectivement j’ai des bémols, mais cela reste un bon livre
Je me demandais si j’étais la seule que les expressions familières avaient gênée. Je vois que non. Et j’espérais aussi un peu plus sur Haïti (hormis la séance de vaudou tellement prévisible). Mais dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé.
j’ai l’impression pourtant que le style littéraire de ce livre est couvert de louanges, donc on ne doit pas être beaucoup à avoir été gênés… oui, c’est dommage pour Haïti, c’est un pays qui est peu connu et cela aurait été l’occasion d’en savoir plus..
Je vais le lire car il me semble que c’est un incontournable.
c’est vrai qu’on en parle beaucoup cet été!
j’en ai entendu parler et j’ai bien envie de me laisser tenter. Je note cependant tes réticences et il ne sera pas ma priorité
pour d’autres c’est un coup de coeur! en tout cas, même si j’ai des bémols, le thème est original, et puis ce n’est pas tous les jours qu’on lit un roman haïtien!
Comme toi j’aurai aimé que la vie de Ruben en Haïti soit plus longuement racontée, mais j’ai beaucoup aimé son parcours passant de la violence, de la haine et de la répression à Berlin puis à l’insouciance, l’exubérance et la fête à Paris.
c’est vrai qu’il a un sacré parcours, mouvementé et contrasté!
Je n’ai pas tenu et j’ai lu ton avis avant qu’on enregistre l’émission 🙁
Je comprends ce que tu lui reproches au niveau de la densité, on en parlera dimanche 😉
yep, à dimanche!
Moi aussi j’ai des bémols mais ils sont sans doute bien plus nombreux que les tiens.
oui je l’ai trouvé inégal, mais j’ai quand même une certaine tendresse pour ce livre…