Cela faisait très longtemps que je souhaitais lire « Une Chambre à Soi » de Virginia Woolf – aussi traduit sous le titre « Un Lieu à Soi », et c’est désormais chose faite !
Cet ouvrage est un essai sur la place des femmes dans la littérature, dans lequel Virginia Woolf reprend des éléments partagés avec des étudiantes de Cambridge lors d’une conférence, en 1928. Puisque c’est un essai, je m’attendais à quelque chose de très structuré, et j’ai été déstabilisée par ce texte, parsemé de nombreuses digressions, et qui m’a parfois semblé partir un peu dans tous les sens – les notes sur la traduction évoquent d’ailleurs un « vagabondage spirituel et intellectuel » et « une narration complexe »- ce qui ne le rend pas toujours simple à suivre.
Les sujets évoqués par Virginia Woolf sont nombreux et pertinents : dès le premier chapitre, elle fait le lien entre un certain confort matériel et financier (argent et chambre à soi) et la possibilité d’écrire une œuvre de fiction. Selon Virginia Woolf, c’est le confort matériel qui donne de la disponibilité d’esprit, du temps, et de la sérénité pour pouvoir écrire, en libérant de la peur et de l’amertume. Or, pendant des siècles, les femmes ont été dans l’incapacité de gagner de l’argent, et si cela avait été possible, la Loi en Angleterre interdisait, jusqu’en 1880, aux femmes mariées de posséder des biens en propre.
L’autrice fait le lien entre écriture et domination : pour écrire il faut non seulement être libre, mais aussi capitaliser sur l’expérience de ceux qui nous ont précédés, avoir accès à l’écriture, aux livres, aux études, ce qui n’est possible que lorsqu’on est issu d’une classe supérieure, ne pas avoir besoin – ou être obligé – de travailler du matin jusqu’au soir (comme les ouvriers, ou les femmes qui doivent s’occuper de la maison et des enfants – d’ailleurs Virginia Woolf remarque que la plupart des autrices n’ont pas d’enfant), pouvoir se confronter au monde – or les femmes ne pouvaient pas voyager seules, et leur expérience de la vie se cantonnait à ce qu’il se passait dans leur maison. Difficile dans ce contexte d’aborder des thèmes porteurs, estampillés « masculins » donc valorisés – le sport, la guerre – ou d’écrire « en oubliant que l’on est une femme », sans peur ou sans récrimination.
Et pendant longtemps, l’on n’a rien attendu des femmes : l’écriture n’est pas pour elle, et toute velléité se heurte à des moqueries voire de l’hostilité. Virginia Woolf imagine le destin d’une femme qui serait la soeur de Shakespeare, tout aussi talentueuse que lui : elle aurait sans doute fini folle, se serait suicidée, ou aurait été traitée comme une sorcière.
Pourtant, les femmes ont fait l’objet de beaucoup de livres écrits par les hommes, que ce soit des études qui les tenaient pour inférieures – asseyant ainsi, en miroir, la supériorité des hommes, ou des romans, avec une sévère dichotomie entre la fiction et la réalité. En effet, dans les romans, la femme est « une créature de la plus haute importance », alors que dans la vraie vie, elle était « insignifiante », esclave de son mari, battue, enchaînant les grossesses, sachant à peine lire et écrire. Elle « envahit la poésie » alors qu' »elle est absente de l’Histoire ». Virginia Woolf évoque d’ailleurs, déjà en 1929, le fameux « male gaze »: « toutes les femmes importantes de la fiction furent non seulement vues uniquement par des hommes, mais encore uniquement dans leurs rapports avec les hommes ».
Le livre se finit néanmoins sur une note positive : de nombreuses professions se sont ouvertes aux femmes, celles-ci ont désormais le droit de vote, et plus de liberté dans leur vie quotidienne… le début d’une nouvelle ère où les femmes investiraient la fiction, mais aussi l’écriture de livres de voyage, d’histoire ou encore de philosophie?
Le ton ironique de l’autrice est assez réjouissant, et le texte, qui a pourtant près de cent ans, a gardé fraîcheur et modernité – peut-être parce qu’il évoque certains thèmes qui restent malheureusement d’actualité? A découvrir !
Publié en 1929. Disponible au Livre de Poche, traduction Sophie Chiari, 200 pages.
Je veux le lire depuis une éternité… mais les régressions dont tu parles m’ont toujours un peu fait peur !
*digressions (et non régressions)… mon clavier a fourché !
il est beaucoup moins fluide que ce à quoi je m’attendais, mais reste quand même très intéressant à lire !