« Les Visés » de Thomas Gosselin et Giacomo Nanni est une bande dessinée qui adapte un fait divers qui a défrayé la chronique aux Etats-Unis dans les années 60 puisqu’il s’agit de la première tuerie de masse.
Le récit suit le personnage inspiré de Charles Whitman, le véritable meurtrier, dans son quotidien durant quelques jours, jusqu’au drame. C’est un jeune homme (25 ans) qui mène une vie plutôt banale, auprès de son épouse, qui est enceinte : il conduit sa femme au travail, postule à un nouveau job, fait des courses… Il couche ses rêves, ses réflexions dans des carnets, montrant une intelligence au-dessus de la moyenne, une excellente maîtrise du langage, une certaine ouverture d’esprit … mais aussi un esprit tourmenté, accentué par la certitude d’avoir une tumeur au cerveau, et des pulsions meurtrières… un jour, il oublie un de ses carnets chez sa mère, qui – bien qu’il lui ait dit de ne surtout pas le faire – commence à le lire…
J’ai d’abord été déstabilisée par le graphisme – le dessin est assez grossier, presque enfantin, avec des couleurs très vives… puis je m’y suis habituée et me suis concentrée sur la progression de l’histoire. L’angle psychologique est privilégié par les auteurs, et c’est glaçant – on sait que l’histoire va se terminer en boucherie mais le personnage, sans être particulièrement sympathique, semble normal, a l’air de mesurer ses propos et ses actes, même si une certaine froideur se dégage de son quotidien. Seuls ses carnets génèrent des questionnements chez le lecteur, et donnent un éclairage différent à ces scènes qui semblent anodines, alors que la tension monte.
Le récit se termine alors que l’homme est positionné en haut d’une tour de l’université, et grâce à son viseur, tire sur les passants. Le graphisme change alors, au niveau des couleurs, comme au niveau de la représentation des autres personnages – ce qui traduit la brutalité et la violence extrême de la situation, mais aussi la difficulté des forces de l’ordre à l’appréhender, puisqu’il domine la scène. J’ai cependant regretté que le récit s’arrête brutalement, un parti-pris narratif que je comprends, mais qui m’a un peu laissée sur ma faim, car on n’assiste ni à la fin de la tuerie, ni au bilan terrifiant de ce drame (16 morts et 32 blessés)
Malgré quelques bémols (les dessins, la fin), j’ai trouvé que « Les Visés » était une bande-dessinée très forte et marquante.
Publié en 2018 chez Cambourakis, 112 pages.