J’ai découvert Yonatan Berg avec son récit autobiographique « Quitter Psagot », qui racontait sa jeunesse dans une colonie israélienne en Cisjordanie, à proximité de Ramallah. « Donne-moi encore cinq minutes », son premier roman, évoque également la vie dans une colonie, appelée pudiquement ici « implantation », où ses deux personnages principaux, Yoav et Bnaya, ont grandi.
Aujourd’hui adultes, ces amis d’enfance ont pris des trajectoires opposées. Yoav mène désormais une vie laïque à Tel-Aviv, où il se perd dans l’alcool et les substances illicites, profondément marqué par un drame qui s’est déroulé lors de son service militaire : lors d’une intervention dans un village palestinien, pour arrêter un jeune homme, celui-ci a égorgé le camarade de Yoav, qui est décédé malgré l’intervention du père du terroriste qui a essayé d’arrêter l’hémorragie. Quant à Bnaya, qui vit toujours dans la colonie, c’est un enseignant et père de famille qui se trouve à la croisée des chemins : son couple se délite, et l’implantation a reçu un ordre d’évacuation, ce qui provoque de vives tensions entre ceux, comme Bnaya, qui se résignent à partir, et une jeune génération extrémiste prête à tout pour rester. Via l’histoire de Bnaya, qui se retrouve à questionner le bien-fondé du seul mode d’existence qu’il connait, c’est aussi la vie dans la colonie qui nous est racontée, avec ses règles, son idéologie, mais aussi sa promiscuité, ses menaces et sa radicalisation, à l’ombre de « l’agglomération », la ville palestinienne attenante.
J’ai eu un peu de mal à entrer dans ce livre, qui souffre de certaines longueurs, et à appréhender ces deux personnages, que l’on suit durant les quelques jours qui remettent en question leur état d’esprit, et vont faire basculer leur vie. Ce pavé, sur un sujet similaire, est à mes yeux moins accessible que « Quitter Psagot ». Et pourtant, il est éminemment intéressant, sur la société israélienne, sur l’organisation des colonies, sur le traumatisme du service militaire, sur l’ouverture à l’Autre, si proche géographiquement, et pourtant si loin. Passé le moment d’adaptation et d’apprivoisement de ce roman très riche, je me suis attachée à ces deux hommes que tout semble opposer mais qui sont liés par un passé commun et par cette même volonté de se remettre en cause et d’ouvrir les yeux pour avancer.
« Donne-moi encore cinq minutes » est un livre exigeant, à qui il faut consacrer du temps, une vraie disponibilité d’esprit, mais qui, une fois quelques écueils passés, est un très beau portrait de deux hommes représentant chacun une facette de la société israélienne.
Publié en Janvier 2018 aux Editions de l’Antilope, traduit par Laurence Sendrowicz, 512 pages.