Nous n’avons rien à envier au reste du monde – Nicolas Gaudemet

J’ai découvert la plume de Nicolas Gaudemet avec « La Fin des Idoles ». Son nouveau roman, « Nous n’avons rien à envier au reste du monde » est très différent, tant sur le style que sur sur la thématique.

La grande originalité de cette histoire d’amour entre adolescents, c’est le pays où elle se déroule…la Corée du Nord. Un pays étrangement peu exploré en littérature, je ne me souviens pas d’avoir lu un autre roman sur ce sujet, seul « Tokyo Detective » de Jake Adelstein évoque rapidement le destin d’immigrés coréens renvoyés par le Japon dans leur pays d’origine.

Les regards de Yoon Gi et de Mi Ran se croisent lors d’une exécution publique. Tous deux sont lycéens mais viennent de milieux sociaux différents. Yoon Gi vit avec sa grand-mère et sa mère, qui réussit à nourrir sa famille grâce à l’étal qu’elle tient au marché, qui flirte avec l’illégalité. Malgré ses efforts, et ses bons résultats scolaires, son « songbun », sa note de valeur, qui dépend des mérites ou des fautes de la personne, mais aussi de toute sa famille sur plusieurs générations, sans être catastrophique, n’est pas extraordinaire. Mi Ran, quant à elle, est la fille d’un haut dignitaire du régime, en charge des pêcheries du pays, elle vit dans le confort et est promise à un brillant avenir, incluant des études universitaires et un mariage avec un jeune homme qui lui ouvrira les portes des cercles du pouvoir.

Le roman est court – on peut se douter que dans un tel régime, les histoires d’amour contrariées ne peuvent pas durer ad vitam aeternam – mais les personnages sont très bien incarnés, et surtout, l’ambiance est une réussite : une atmosphère oppressante, pesante, dangereuse, absurde aussi, car comme l’évoque Emmanuel Carrère dans « Kolkhoze » pour l’URSS, il y a cette dissonance cognitive permanente entre ce qui est constaté, et ce qui est déclaré par le régime. Propagande, surveillance, délation, auto-critique, corruption, classisme, honte, violence, sont le quotidien des habitants du pays, comme une chape de plomb, sans réelle échappatoire, et Yoon Gi s’en rend compte d’autant plus qu’il pénètre dans le monde privilégié de Min Ran et voit les différences immenses entre leurs deux quotidiens. La quatrième de couverture évoque Roméo & Juliette, j’ai également pensé à la chanson « Heroes » de David Bowie.

Un beau roman, tragique, qui met en lumière un pays méconnu.

Publié en Août 2025 à l’Observatoire, 150 pages.

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