Même si l’on n’est pas friand de témoignages sur un conjoint malade, un parent mourant, un enfant handicapé, qui peuvent vite être lourds de pathos et friser le misérabilisme, il est difficile de ne pas aimer « Et tu danses, Lou », le récit d’une histoire « joyeuse, tourmentée, lumineuse, catastrophique, magnifique, singulière, passionnelle », écrite à quatre mains: la voix de Pom Bessot, qui a écrit au fur et à mesure, et celle de son conjoint Philippe Lefait, qui lit ces notes et lui répond avec un recul de dix-sept ans.
Philippe Lefait et Pom Bessot avaient tout pour être heureux: des métiers intéressants (lui est journaliste, elle est éditrice), un milieu aisé, une relation de dix ans. Alors que rien n’a été remarqué, ni même soupçonné pendant la grossesse, et qu’on leur a même annoncé un gros bébé, la naissance est un choc: Lou est minuscule (2,2 kg pour 45 cm) et a « une drôle de tête » dixit la pédiatre. Les parents sont affolés, et se sentent abandonnés par les médecins, leurs remarques parfois déplacées, leur incapacité à poser un verdict sur « l’anormalité » de leur fille. Philippe Lefait est sans complaisance pour eux comme pour lui
« Détresse de père. Lâcheté de compagnon tumultueux qui n’entend pas les appels au secours. Le handicap non diagnostiqué a la férocité du fauve »Les parents entrent alors dans un monde de solitude: solitude face aux médecins, solitude face aux autres mères, solitude face à leur fille, mais aussi solitude l’un envers l’autre: « Nous vivons dans des mondes parallèles. Ce sont deux solitudes inouïes qui se découvrent et t’accueillent, fille ».
J’ai été notamment frappée par l’angoisse de la mère lors de la déclaration à la mairie, cette étapes dont on ne soupçonne pas le poids lorsque l’on n’a pas connu la situation de Philippe et Pom: quand le fait de nommer et donner une identité légale à Lou rend réel ce cauchemar éveillé dans lequel ils se trouvent. « Te donner un nom, une identité, c’est me précipiter dans une vie que je ne conçois pas ».
Le dialogue de la mère et du père, à dix-sept ans d’intervalle, montre les différences qui se creusent entre eux, lève des non-dits, cette angoisse, par exemple, du père lors de la grossesse, « dans les errances biscornues de (s)on divorce et de (s)on analyse » alors que le couple est pourtant ensemble depuis dix ans, et que la conception a été médicalement assistée.
Même si Philippe et Pom se remettront ensemble quelques années plus tard, au début le couple ne résiste pas aux hospitalisations répétées, aux opérations, à la culpabilité, à la colère contre les médecins impuissants ou nonchalants, à l’absence de diagnostic. Les parents s’unissent pour trouver des solutions pour Lou alors que le couple en lui-même se désunit, et n’arrive pas à se lancer dans le projet de faire un autre enfant.
« Tout se brouille, Lou, notre couple, l’amour pour Lou, les angoisses, les exigences médicales »
« Notre sublimation est univoque: tous, parfois désunis, derrière toi »
« Raison ou lâcheté. Il m’a semblé impossible d’ouvrir un autre front dans cette longue bataille que nous avions commencée avec toi »
Pourtant, malgré les difficultés, il y a de nombreux rayons de soleil dans cette histoire, le principal étant Lou elle-même, enfant puis aujourd’hui adolescente extrêmement attachante, qui veut son autonomie, qui s’approprie un langage malgré les problèmes sévères de dysphasie créés par ce « pète chromosomique » comme finiront par le découvrir les médecins. Lou est parfois très colérique quand il y a une incompréhension ou quand elle n’arrive pas à exprimer ses sentiments, mais elle parle grâce au langage des signes, elle est scolarisée, se fait des amis de tout âge, part en vacances, veut prendre le métro toute seule sur quelques stations, aller déjeuner seule, faire des courses, adore le coca et les séries télé médicales.
Et aussi toutes ces personnes solidaires, que ce soit sur le long terme: les nourrices de Lou, Monique du Manège, les deux médecins qui la suivent et la stimulent, les professeurs des écoles expérimentales qu’elle fréquente, ou de façon plus ponctuelle comme les monos des colonies ou même ces inconnus dans le métro qui vont aider Lou lorsqu’elle est perdue.
« Ces scènes disent quelque chose d’une possibilité. Plutôt que d’intégration, il s’agit de lieux d’une socialisation bricolée mais envisageable »
Même si je n’ai pas autant accroché qu’avec « Tout s’est bien passé », j’ai vraiment apprécié ce document qui témoigne avec finesse et délicatesse du parcours du combattant des parents d’enfants différents, que ce soit sur le plan conjugal, scolaire, médical ou social. Les deux voix du père et de la mère qui se répondent enrichissent l’histoire en lui donnant deux facettes, au début désunies par la violence du choc qui les sépare, puis convergentes au fur et à mesure que les conjoints se rapprochent. Et c’est surtout une très belle manifestation d’amour, et un magnifique portrait d’une jeune fille combative par ses parents.
Je n'ai pas accroché à ce document, sauf pour la fin, quand Lou devient plus autonome.
je ne lis pas ton billet aujourd'hui car je n'ai pas encore écrit le mien mais moi j'ai eu un coup de coeur. J'ai été très émue et touchée, peut-être parce que j'ai une amie qui a une fille handicapée (la petite pour qui j'ai couru le marathon), malade d'une maladie orpheline alors c'est un peu le m^mee parcours (sans l'autonomie possible de Lou) et j'ai beaucoup pensé à eux en le lisant (aujourd'hui je lui en ai parlé en lui disant que j'avais envie de lui prêter et elle en avait entendu parler et elle avais envie de le lire, j'ai hâte d'avoir son avis
je pense en effet que cela doit être encore plus touchant quand cela fait echo à une situation personnelle…en tout cas c'est un très beau livre, que je n'aurais jamais lu sans ELLE
Je ne pense pas que ce livre puisse me plaire, mais tu en parles d'une telle façon que ça m'a touchée.