Le jour où mon père s’est tu – Virginie Linhart / L’Etrangère – Valérie Toranian / Peut-être Esther – Katja Petrowskaja / Faute d’identité – Michka Assayas

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Aujourd’hui, exceptionnellement, ce n’est pas un livre que je vous propose mais…quatre livres!
Ils ont tous un point commun, ce sont des récits concernant la famille de l’auteur, avec des points d’entrée cependant différents.

Virginie Linhart

J’ai eu envie de découvrir « Le jour où mon père s’est tu » de Virginie Linhart après avoir lu « Eden Utopie » de Fabrice Humbert, où son ouvrage est mentionné. Le père de Virginie, Robert, a été l’un des fondateurs du mouvement maoïste en France, et l’auteur d’ouvrages reconnus, notamment « L’Etabli » sur son expérience en tant qu’ouvrier chez Citroën. Puis il s’est retiré du monde politique, et s’est enfermé dans le silence après avoir eu de gros problèmes psychologiques. Virginie Linhart choisit un angle très intéressant pour écrire sur Mai 68, et en filigrane sur son père : elle part à la rencontre de personnes au profil similaire au sien, les enfants de ceux qui ont fait Mai 68. Quels sont leurs souvenirs de ces années, quelle éducation ont-ils reçu, quel rapport ont-ils avec la politique, ont-ils des valeurs et un mode de vie en conformité avec ce que leur ont transmis leurs parents? C’est tout une époque qui revit sous la plume de Virginie Linhart, partagée entre nostalgie de cette période et critique d’un certain mode de vie. En effet la plupart de ces enfants de Mai 68 mènent aujourd’hui une vie bourgeoise et très cadrée, très centrée sur leur progéniture, complètement à contre-pied de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu. Virginie Linhart fait aussi une analyse très intéressante sur le lien entre judaïsme et engagement politique d’extrême-gauche et trace un portrait émouvant de son père. Il est également intéressant de noter à travers ces témoignages que la plupart des personnes actives dans Mai 68 mentionnées dans ce livre venaient de milieux bourgeois et avaient fait de solides études, ce qui leur a permis de réintégrer très facilement les rangs plus conventionnels dans les années 70 – un seul témoignage discordant et passionnant, celui de Thomas Piketty qui explique l’effet désastreux qu’un tel engagement a eu sur la vie de ses parents qui, jeunes et non-diplômés, ont connu de longues années de galère, un son discordant que Fabrice Humbert émettait déjà dans son roman, dont ce récit est un bon complément.  « Le jour où mon père s’est tu » est un document original et très intéressant, qui analyse l’effet de Mai 68 sur la génération d’après, avec quarante ans de recul.

« L’Etrangère » de Valérie Toranian alterne le récit romancé du génocide arménien vécu par la grand-mère de l’auteur et de sa fuite jusqu’en France, et les souvenirs d’enfance de l’auteur, partagée entre son héritage « aux cheveux bouclés » – un nom arménien Couyoumdjian sujet aux moqueries, les moments passés avec sa grand-mère, la nourriture riche et sucrée – et son éducation française avec une mère normande blonde aux yeux bleus, professeur de lettres. On ne peut rester insensible aux pages absolument horribles sur le génocide, les familles décimées, les enfants tués ou vendus, retranscrits avec émotion par l’auteur, la forme romancée donnant encore plus de force au récit. Et c’est également la douleur de la négation de ce génocide que met en avant Valérie Toranian, qui avoue avoir voulu devenir juive à l’adolescence, pour que la souffrance de sa famille soit enfin reconnue. Valérie Toranian montre que l’on peut être tout à fait français, tout en chérissant sa culture d’origine et son patrimoine et en se battant pour la reconnaissance du génocide. C’est aussi un bel hommage à sa grand-mère, petite femme bien loin des critères parisiens de beauté et de distinction, mais qui a tout perdu lors du génocide (premier mari, famille, vie confortable, place dans la société) et s’est battue toute sa vie pour survivre – au sens propre comme au figuré – et assurer le futur de son fils. « L’Etrangère » de Valérie Toranian est un beau portrait de femme, un récit très intéressant sur la double culture, et un témoignage passionnant sur le génocide arménien qui, s’il a été médiatisé en France, est encore peu connu du grand public.

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Katja Petrowskaja

J’étais très impatiente de lire « Peut-être Esther » de Katja Petrowskaja, une jeune femme juive née à Kiev et vivant aujourd’hui en Allemagne, qui se penche sur l’histoire de sa famille qui a traversé plusieurs pays, de l’empire austro-hongrois à l’Ukraine, en passant par la Russie et la Pologne. Difficile de ne pas penser aux Disparus de Daniel Mendelsohn, qui est devenu une référence du genre. L’auteur interroge sa famille, se rend dans les lieux où ont vécu ses ancêtres, pour tenter d’en savoir plus sur eux, certains dont on ignore même le nom exact, comme celui de son arrière-grand-mère, peut-être Esther? d’autres qui ont changé de nom, ce qui complexifie les recherches.  L’histoire familiale de Katja Petrowskaja est remplie d’épisodes dramatiques – notamment le récit de la mort de son arrière-grand-mère et de sa grand-tante dans la tuerie de Babi Yar – de coïncidences et d’événements rocambolesques…Tradition familiale d’enseigner aux sourds-muets, arrière grand-oncle terroriste, ou peut-être fou, ou peut-être membre de la police secrète, un arrière-grand-père qui changea de nom, un grand-père qui disparaîtra pendant quarante-et-un ans…Katja Petrowskaja nous raconte une histoire à la fois émouvante et passionnante, mais aussi difficile à suivre. Même moi qui aime les histoires familiales, je me suis sentie perdue devant tant de parents, ne sachant plus parfois qui était qui, côté paternel ou côté maternel, arrière-grand-père ou grand-père, et cette gymnastique intellectuelle systématique a fini par me lasser. Dommage que l’auteur n’ait pas jugé bon d’ajouter un arbre généalogique au début du livre, cela aurait grandement facilité la lecture, car il y a moyen de perdre nombre de lecteurs en route. Le style d’écriture de Katja Petrowskaja m’a aussi un peu rebutée, je me suis même demandée si elle n’était pas adepte de l’écriture automatique tant certains passages m’ont laissée perplexe. Ces deux bémols m’ont empêchée d’apprécier complètement « Peut-être Esther », cet ouvrage pourtant riche et passionnant.

Michka Assayas
Et pour finir quelques mots sur « Faute d’identité », un récit/pamphlet écrit par Michka Assayas, journaliste rock et frère d’Olivier, sur son combat kafkaïen pour récupérer des papiers d’identité en 2009. S’étant fait voler son passeport et n’ayant plus de carte d’identité valide, il doit mener un véritable bras de fer avec l’administration française. La raison? Lui qui est né en France de parents français, il doit prouver sa nationalité française…parce que ses parents sont nés à l’étranger – en Turquie pour son père, en Hongrie pour sa mère – même s’ils ont été naturalisés bien avant sa naissance! Michka, à cinquante ans, doit donc fouiller dans les papiers de ses parents tous les deux décédés, pour trouver les documents prouvant qu’il « mérite » bien son passeport français. Une situation ubuesque qui le fait se pencher sur son passé familial et sur l’histoire de ses parents. Ironie du sort, sa famille  a de nombreux points communs avec celle d’un certain…Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. Ce qui est arrivé à Michka Assayas, homme de plume ayant une certaine notoriété, venant d’une famille d’artistes, travaillant pour des radios et magazines de poids, est également arrivé à des milliers d’anonymes, que l’on a renvoyés brutalement et soudainement à un statut d’immigré  alors qu’ils sont nés français et ont eu des papiers français pendant des décennies. « Faute d’identité » est un court récit édifiant, écrit avec intelligence et humour, qui appuie efficacement là où cela fait mal.
« Le jour où mon père s’est tu », publié chez Seuil le 13 Mars 2008, 174 pages, disponible en poche chez Points
« L’Etrangère », publié chez Flammarion le 6 Mai 2015, 237 pages.
« Peut-être Esther », publié chez Seuil le 8 janvier 2015, traduit par Barbara Fontaine, 273 pages
« Faute d’identité » publié chez Grasset le 4 mai 2011, 176 pages, disponible au Livre de Poche.
 

36e participation au Challenge Rentrée Hiver 2015 organisé par Valérie et hébergé par Laure de Micmelo.

3 commentaires sur “Le jour où mon père s’est tu – Virginie Linhart / L’Etrangère – Valérie Toranian / Peut-être Esther – Katja Petrowskaja / Faute d’identité – Michka Assayas

  1. @Tant qu'il y aura des livres : la partie consacrée au génocide arménien est très instructive (même si elle fait froid dans le dos)
    @Delphine : le Linhart est top en complément d'Eden Utopie, le Michka Assayas montre bien les dérives de notre administration

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