D’après une histoire vraie – Delphine de Vigan

Après avoir adoré « Rien ne s’oppose à la nuit » de Delphine de Vigan, je ne pouvais bien sûr pas passer à côté de son nouveau livre « D’après une histoire vraie »… Mais que peut-on bien écrire après avoir raconté la vie de sa mère bipolaire et dévoilé les secrets d’une famille aussi particulière que fascinante, dans un récit qui a rencontré un succès phénoménal et touché un million de lecteurs?
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C’est le point de départ du nouveau livre de Delphine de Vigan, qui s’appuie sur une structure de faits réels, et d’interrogations qui, si elles sont moins aisément vérifiables, apparaissent tout à fait vraisemblables. Delphine est donc un auteur à succès, qui a publié en 2011 un portrait de sa mère qui a provoqué un raz-de-marée dans les librairies. Elle partage la vie d’un certain François, qui anime une émission littéraire (mais de qui s’agit-il donc?) , et a deux enfants d’une première union. La promotion de son livre l’a laissée épuisée, et voilà que la même question tourne en boucle chez ses interlocuteurs : que va-t-elle écrire, non pas « maintenant », mais « après ça »?
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Et c’est là que Delphine rencontre L., une femme de son âge, dans une soirée. L. est une belle femme, charismatique et empathique, qui dégage une sophistication et une assurance que Delphine lui envie, , qui semble instantanément comprendre Delphine, même sans que celle-ci ait besoin de formuler clairement ses doutes ou ses envies. Delphine est pourtant bien entourée, elle a de nombreux amis, certains qu’elle connait depuis des décennies, mais L. est toujours disponible, L. est motivante, L. veut tout savoir, L. est admirable, L. a beaucoup de points communs avec Delphine, et elle devient très rapidement sa meilleure amie, celle qu’elle contacte et voit quasiment tous les jours.
L., qui est elle-même écrivain puisqu’elle est nègre pour des célébrités, s’intéresse énormément à l’écriture, elle a lu toute l’oeuvre de Delphine, et est bien sûr impatiente de lire son prochain récit. Delphine a des idées, écrire une fiction sur la télé-réalité ou retoucher un manuscrit datant d’il y a quelques années, mais L., est une partisane du réel, qui prône la mort de la fiction, et l’encourage à continuer à explorer le domaine de l’intime, et à rester dans la lignée de « Jour sans faim » ou de « Rien ne s’oppose à la nuit ».
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Delphine ne sait plus où elle en est, n’arrive plus à écrire, à allumer un ordinateur, à répondre à ses mails, à honorer ses engagements professionnels. Heureusement que L. la soutient, s’installe même chez elle pour l’épauler au quotidien et prendre en charge ce que Delphine n’arrive plus à faire. Heureusement que L. est là…Ou pas.
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Car la tension monte, progressivement, devenant de plus en plus enfermante, oppressante. Et rien n’est plus glaçant que le danger intérieur, le danger intime…celui qu’on laisse entrer sans se méfier dans son foyer, être au plus proche de soi…celui à qui l’on ouvre nos souvenirs, nos faiblesses, nos failles. Delphine n’est pas une personne isolée, elle a deux enfants – certes, qui ont quitté le domicile familial pour faire leurs études – , un compagnon – certes souvent en déplacement – beaucoup d’amis – certes, qui habitent maintenant aux quatre coins de la France – pourtant L. semble être partout, tout le temps, et son contrôle, son emprise s’étendent, insidieusement. Et même si Delphine est un auteur à succès,  ses commentaires, ses réflexions – sur la vie, sur l’amitié, sur son rapport aux autres – semblent empreints d’une grande sincérité, rien n’est donc plus facile pour le lecteur que de s’identifier à elle et de ressentir ses troubles et ses tourments.
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L’écriture de Delphine de Vigan est extrêmement bien dosée, et « D’après une histoire vraie » est un récit haletant et passionnant, j’ai tourné les pages avec délectation, impatiente de connaitre la fin du roman qui s’apparente à un thriller. La menace plane, comme ces lettres anonymes que Delphine reçoit, qui l’accusent d’avoir noirci le tableau de sa famille, pour vendre plus d’exemplaires de « Rien ne s’oppose à la nuit ».
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La force de ce récit est de jouer à merveille avec tous les codes de l’auto-fiction : le contexte est réel, une grande partie des personnages l’est également – on y croise par exemple Agnès Desarthe qui fut une camarade de prépa de Delphine de Vigan ou notre cher François Busnel – et je ne doute pas qu’il y ait énormément de Delphine de Vigan dans les interrogations, les réflexions, les sentiments exprimés par Delphine. L’auteur à qui l’on a sans cesse demandé ce qui était réel et ce qui était fiction dans « Rien ne s’oppose à la nuit », qui s’interroge sur le goût des lecteurs pour le « vrai », sur cette tendance à vouloir à tout prix décortiquer ce qui est arrivé de ce qui est inventé, propose comme un pied de nez ce récit aux frontières très floues.
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« D’après une histoire vraie » est magistralement bien écrit, avec un suspense distillé aux petits oignons, mais également une histoire très intéressante d’emprise et de manipulation, tant sur un plan personnel que sur un plan littéraire. La dimension autobiographique du roman rend le récit encore plus profond et original, car Delphine de Vigan va très loin et sème brillamment le trouble entre réalité et fiction. L’auteur a su rebondir avec brio, et livre avec « D’après une histoire vraie », un roman malin et audacieux qui m’a bluffée, une très belle réussite.
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Publié le 26 Août 2015 aux Editions JC Lattes, 484 pages.

8e participation au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015 et participation avec ce titre au Challenge Goncourt des Lycéens organisé par Enna !

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15 commentaires sur “D’après une histoire vraie – Delphine de Vigan

  1. Encore un avis très enjoué ! Il va recevoir de nombreux prix .. moi je vais attendre avant de le lire car à force de lire des billets, je connais un peu trop l'histoire…

  2. J'ai beaucoup aimé ce livre aussi. Je lui souhaite de recevoir des prix …
    Je me rends compte que nous avons des coups de cœur communs dans cette rentrée littéraire de septembre car j'ai, comme toi, adoré le dernier Chalandon.
    J'attends avec impatience ton avis sur "Otages intimes" que je viens de lire aussi.
    Bonne lecture…

  3. Décidément, à part mes deux copines, il n'a quasiment aucun détracteur ce livre, je ne sais plus trop quoi en penser, il est aux coudes à coudes avec Chalandon dans les pépites…il va falloir que je le lise pour me faire une idée;

  4. @ Galéa : ah oui, obligé ! 🙂

    @Noukette : oui il est très intriguant! par contre il vaut peut-être mieux lire "rien ne s'oppose à la nuit" d'abord, pour bien comprendre certains éléments de "d'après une histoire vraie"

    @Zaza : oui ça va t'éclairer sur l'état d'esprit de Delphine et aussi sur les lettres anonymes

    @Delphine : oui ravie qu'on soit d'accord sur un si bon roman 🙂

    @Joelle : ah cette rentrée est vraiment excellente!! mon billet sur "Otages Intimes" sera en ligne lundi 5

    @Electra : oui parfois il vaut mieux attendre un peu que le buzz soit passé

  5. @ Tasha : oui on a l'air d'avoir pas mal de goûts communs 🙂

    @ Tant qu'il y aura des livres : oui c'est un des essentiels de cette rentrée, et franchement il vaut le coup d'être lu!

  6. Votre billet,élogieux et brillant, souligne avec raison toutes les qualités de ce roman que j'ai lu avec plaisir, en raison de la qualité de l'écriture et du suspense. Mais puis-je dire qu'à mon avis il y a des longueurs ? Car ce livre est aussi l'occasion d'une "dissertation" sur le thème ( pas nouveau !!) des liens entre fiction et réel, autobiographie, vérité et invention : cette conversation est récurrente entre les deux personnages, puisque c'est l'obsession de L., mais elle tourne en rond et m'a parfois lassée, car D. de V. n'avance pas des idées très originales…En revanche, elle aurait pu développer avec bonheur les éléments de thriller. J'avais adoré "Rien ne s'oppose…", mais j'avoue une petite déception face à ce dernier roman dont j'attendais peut-être trop…

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