L’Arbre du Pays Toraja – Philippe Claudel

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu de roman de Philippe Claudel, mais son passage à La Grande Librairie m’a donné envie de lire son dernier ouvrage « L’Arbre du Pays Toraja »…et j’ai adoré ce très beau texte sur la mort, l’amitié et l’amour!
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« L’Arbre du Pays Toraja », c’est un arbre dans lequel les Torajas, un peuple d’Indonésie, placent le corps d’un enfant mort. L’arbre va continuer à grandir, et va élever vers le ciel le petit cadavre. Une autre façon d’enterrer ses morts et d’envisager le deuil que le narrateur, réalisateur, découvre lors d’un voyage, et qui fait écho à sa propre vie. Autrefois marié à Florence, le narrateur a eu un enfant mort-né. « Naître mort, le plus effroyable des oxymores » S’il a toujours considéré que cet enfant n’a jamais vécu, son ex-femme a porté en elle cet enfant mort, qui a grandi en elle toutes ces années. « Comme l’arbre du pays Toraja, elle a continué au fil des années à faire croître son enfant au plus profond d’elle. Son corps de femme s’est empli de la présence du petit coprs mort qu’elle n’a jamais vraiment enterré mais qu’elle a accueilli à demeure, dans sa maison intérieure et dans sa vie, le modelant selon les âges, l’épanouissant en une fillette rieuse puis une jeune fille éternelle et idéale. »
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En revenant d’Indonésie, le narrateur apprend que son producteur Eugène, qu’il considère comme son meilleur ami et son mentor, a un cancer. Un homme passionné et passionnant, qui a eu une vie très riche, avec de nombreuses conquêtes et de nombreux enfants. « Son petit cancer devenu grand était apparu dans un moment où Eugène, pour la première fois de sa vie, dans son âge adulte, était seul. Un moment où il n’était pas amoureux, où il n’était plus avec sa précédente compagne, et pas encore avec la suivante. »Cela pousse le narrateur à s’intéresser à notre relation au corps, à ce que représente le cancer, à ce qui nous rend malade. Afin de répondre à ces questions, il s’adresse à une psychiatre qui lui a été recommandée, et rencontre ainsi Elena, bien plus jeune que lui, avec qui il démarre une relation.
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Philippe Claudel
Le narrateur a une cinquantaine d’années et se situe à un moment charnière de sa vie : lui qui a souvent été confronté à la mort, que ce soit avec un camarade de classe qui s’est suicidé, ou un compagnon d’alpinisme mort à ses côtés pendant une grimpée, se retrouve aujourd’hui en raison du cancer d’Eugène confronté à l’idée de sa propre mort.  Le narrateur est à la croisée des chemins, n’arrivant pas à s’engager vers un avenir constructif, étant raccroché à un passé mortifère : malgré son divorce, il n’a jamais refait sa vie, continuant à voir régulièrement son ex-femme qui pourtant, elle, s’est remariée, et la mort  d’Eugène lui donne l’impression que sa vie à lui se finira bientôt. Sa rencontre avec Elena est ainsi source de souffrances, sa jeunesse et leur différence d’âge le renvoyant à sa propre vieillesse et à l’idée d’une mort qui se rapproche. « Quand nous faisons l’amour je ressens davantage de peine que de plaisir (…) une peine venant d’un décalage qui n’est pas seulement horaire ».  « Je savais que notre relation ne pouvait que conduire à faire grandir en moi une amertume qui s’était installée après la mort d’Eugène, comme une lointaine cousine de province, revêche et grise, débarquée sans crier gare, et qui s’installe chez nous, à demeure, sans que nous ayons notre mort à dire »
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J’ai trouvé « L’Arbre du Pays Toraja » très différent des autres romans de Philippe Claudel que j’ai pu lire. A plusieurs reprises j’ai pensé à Emmanuel Carrère en lisant ce récit. Curieusement, même si ce roman est très écrit, avec beaucoup de réflexions sur la mort, l’amitié, l’amour, la vieillesse, et de nombreuses phrases qui font mouche, de nombreux passages m’ont semblé très cinématographiques, j’ai senti l’influence du travail de réalisation de Philippe Claudel – il a réalisé quatre films – sur ce récit, avec de très belles idées, notamment lorsque le narrateur observe les rituels quotidiens d’une jeune femme qu’il peut apercevoir de son appartement. J’ai lu avec beaucoup de plaisir et d’intérêt « L’Arbre du Pays Toraja » que j’ai trouvé vraiment beau et intelligent, avec des thèmes forts, des raisonnements profonds et sensibles, une construction bien maîtrisée. J’ai particulièrement apprécié le passage concernant la rencontre fortuite avec Milan Kundera. Je me suis d’ailleurs vraiment demandé jusqu’à quel point c’était une oeuvre de fiction car j’ai eu l’impression que l’auteur avait mis beaucoup de lui dans ce livre.
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« L’Arbre du Pays Toraja » de Philippe Claudel est un très beau livre et sur le pouvoir des mots, dans l’amitié comme dans le fait de maintenir en vie, grâce à un texte, une personne décédée. Un texte très bien écrit, profond et intelligent, dont j’ai souligné de nombreux passages. Un coup de coeur!
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Publié le 1er Janvier 2016 aux Editions Stock, 216 pages.
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5e participation au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de MicMelo
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11 commentaires sur “L’Arbre du Pays Toraja – Philippe Claudel

  1. Très beau billet ! J'ai adoré aussi ce texte fort où j'ai moi aussi eu envie de garder de nombreux passages en les surlignant. Un texte qui n'est pas triste malgré le sujet, je l'ai trouvé plutôt lumineux.
    Un des meilleurs textes de cette rentrée pour moi (pour l'instant…)

  2. @ Edyta : figure toi qu'il est resté assez longtemps dans ma PAL car je croyais que c'était un roman se passant en Indonésie ! ce n'est qu'en voyant l'auteur à LGL que j'ai compris le sujet de ce roman…

    @ Clara : ravie que tu l'aies aimé autant que moi!

    @ Valérie G : ça doit faire 10 ans que je n'ai pas écouté le Masque et la Plume !! 😀

    @ Joëlle : je suis tout à fait d'accord, l'un des plus beaux textes de cette rentrée! et je pense le pépiter chez Galéa car c'est un roman que j'ai envie de partager autour de moi…

  3. @ Delphine : je suis du même avis que Joelle ^^

    @ Joelle : je vais lire Bojangles début Mars, pour le moment je n'ai eu qu'un seul avis négatif sur ce roman (mais de quelqu'un avec qui j'ai beaucoup de goûts communs, donc je ne sais pas trop à quoi m'attendre)

  4. Je trouve que tout ce qu'écrit Philippe Claudel est plein de finesse, de profondeur et d'intelligence. L'homme est aussi très intéressant :je l'ai écouté lors d'une rencontre à la Fnac : simple, humble et généreux( il allait donner des cours en prison). J'ai donc grande envie de lire ce livre !

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