Le Livre de Kells – Sorj Chalandon

Inconditionnelle de Sorj Chalandon, je ne pouvais pas manquer de lire sa nouvelle parution  « Le Livre de Kells » qui n’évoque pas le célèbre ouvrage conservé à Dublin, mais bien une période charnière de la vie du narrateur, double de l’auteur, qui s’achève par la création du journal Libération, et le début de sa carrière de journaliste.

A 17 ans, émancipé et sans avoir terminé le lycée, Georges quitte sa famille, et surtout un père violent, raciste, antisémite. Il a dans l’idée de parcourir les routes jusqu’aux destinations qui font rêver les jeunes, Ibiza, Katmandou…mais se retrouve vite à la rue, à Lyon puis Paris, parfois dans des squats, mais dans une précarité terrible dont l’issue est incertaine. Jusqu’au jour où un groupe d’étudiants de la Gauche Prolétarienne lui tend la main…

Récit d’apprentissage, « Le Livre de Kells » est empreint d’humanité. Celle de Georges déjà qui, malgré le fait d’avoir vécu au quotidien auprès d’un homme raciste et violent, n’a pas été contaminé, et a gardé des valeurs morales et une ouverture d’esprit. La rage aussi de s’en sortir – sortir d’un univers familial toxique et néfaste, sortir de la rue, sortir d’un néant intellectuel et culturel.

L’ouvrage montre bien l’engrenage infernal de la rue – pour obtenir un emploi, il faut a minima être propre, soigné, donc il faut avoir un logement, mais pour avoir un logement, il faut avoir des ressources, et impossible sans avoir un emploi… la main tendue d’un groupe de copains va l’aider à se sortir de cette spirale.

C’est la deuxième fois en un mois que je lis un ouvrage qui évoque la Gauche Prolétarienne, après « Finistère » d’Anne Berest. Georges va découvrir un monde de solidarité et d’entraide. Un monde aussi empreint de violence : de violences policières, de violences contre les mouvements d’extrême droite, de violence aussi dans les actions du groupe et dans l’implication des membres ( la postface est édifiante) . La mort d’un militant, tué par un vigile de chez Renault, met le feu aux poudres. Georges est le témoin de dérives, jusqu’au jour où le massacre des Jeux Olympiques de Munich révèle des dissensions fortes dans le groupe. Entre les violences autour du conflit israélo-palestinien et autour de l’immigration, c’est un rappel que notre société actuelle ne semble rien avoir inventé, ni résolu d’ailleurs en plus de cinquante ans : toujours les mêmes problèmes, toujours les mêmes haines, toujours les mêmes positionnements, toujours les mêmes récupérations… et qu’il faut savoir réaliser que l’on fait fausse route et arrêter avant qu’il ne soit trop tard.

Un livre à la fois très beau et terrible, qui fait violemment écho à notre époque actuelle. 

Publié en Août 2025 chez Grasset, 384 pages.

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