Ce qu’il y a de bien avec la blogosphère, c’est qu’elle vous incite parfois à lire un roman sur lequel vous auriez spontanément fait l’impasse : c’est ce qu’il s’est passé avec « La Maladroite » d’Alexandre Seurat, qui s’inspire de « l’affaire Marina », une enfant martyr décédée à l’âge de huit ans. J’ai horreur des histoires d’enfants battus, mais le nombre impressionnant de billets positifs sur ce roman m’a fait changé d’envie, et c’est tant mieux, car j’ai trouvé que c’était un excellent livre.
Dès les premières pages, on sait qu’il est arrivé quelque chose de grave à la petite Diana, dont le visage orne des avis de recherche. Son ancienne institutrice en est persuadée, un drame s’est produit. Les huit ans qu’aura duré la vie de la petite fille nous sont racontés de manière polyphonique par les témoins : la grand-mère maternelle, la tante maternelle, les instituteurs, les directeurs d’école, le médecin scolaire, l’assistante sociale, les gendarmes…Dans les narrateurs, le seul qui appartient à la cellule familiale est le demi-frère, Arthur, de quelques années plus âgé que Diana. Les parents ne parlent pas, ni la petite fille. Ce choix de narration montre bien que la petite fille n’était pas une enfant cachée, même si les parents faisaient leur maximum pour tenir à distance famille et intervenants, elle vivait dans la sphère publique, fréquentant l’école et ayant des interactions avec un certain nombre de personnes.
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Dans ce court récit pudique, sans effet de style et sans pathos, se dessinent huit années de souffrance, et un constat glaçant. Plusieurs personnes dans l’entourage de l’enfant ont eu des suspicions de maltraitance et ont fait leur devoir en faisant des signalements aux gendarmes et aux services sociaux : convocations des parents, interrogatoires, examens médicaux…pourtant le système a failli à la protection de la petite fille et n’a pas réussi à empêcher l’issue fatale.
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Dans « La Maladroite », Alexandre Seurat écrit la chronique d’une famille apparemment sans histoires : le couple semble uni, a d’autres enfants qui paraissent en bonne santé, n’appartient pas à un milieu social défavorisé – on est loin de « Germinal ». La grand-mère, qui s’est beaucoup occupée de Diana lors de ses premiers mois, avait même proposé de prendre l’enfant chez elle, les parents n’étaient donc pas obligés de garder Diana auprès d’eux, sa présence n’était par conséquent pas subie.
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J’allais écrire que j’avais aimé la construction du livre, mais difficile d’utiliser le mot « aimer » pour un récit aussi poignant et qui met en colère : en tout cas, l’auteur met bien en avant la manipulation des parents, qui arrivent à berner des professionnels en utilisant pour cela la mise à distance, mais aussi leur meilleure arme, les enfants, et paradoxalement Diana elle-même, enfant toujours souriante et positive, dont le discours est bien rôdé – elle sait très bien quoi dire et à qui, et ses explications sont toujours constantes et cohérentes. Le frère m’a beaucoup touchée, lui qui sait exactement ce qu’il se passe à la maison mais est instrumentalisé par les parents pour donner les bonnes réponses aux bonnes personnes – et s’il sent confusément que le comportement des parents est anormal, comment se positionner contre ses parents, comment comprendre que Diana est une enfant comme les autres, que Diana est sa sœur, et qu’elle devrait être traitée avec respect alors qu’elle est ostracisée depuis son plus jeune âge au sein du foyer familial et que ce comportement est devenu normal, banal?
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L’écriture d’Alexandre Seurat n’est jamais lourde, elle n’est jamais trop bavarde non plus, mais elle réussit bien à recréer les situations, à exprimer les émotions sans que le livre ne devienne misérabiliste. « La Maladroite » est le premier roman de l’auteur, qui s’en sort admirablement bien, surtout avec un sujet aussi délicat. Une réussite, et un écrivain à suivre.
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Publié le 19 Août 2015 aux Editions du Rouergue, 121 pages.
35e participation au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015 organisé par Hérisson
un livre uppercut ( je rapatrie mon billet bientôt)
Un roman qui prend le lecteur aux tripes et suscite colère, indignation et une profonde tristesse.
un texte qui fait réfléchir!
Ton billet enfonce le clou! Je le veux! Le choix de changer de narrateurs me plaît beaucoup.
Pour un premier roman, il est en effet très maîtrisé.
Je le lirai aussi, mais je vais d'abord tenter d'oublier tout ce que j'ai lu dessus…
Un très bon premier qui laisse des traces. J'ai beaucoup apprécié le choix de la narration polyphonique.
Je n'ai toujours pas envie de le lire mais je vois qu'on peut, comme moi, ne pas avoir été tentée et être tout de même emballée.
Je vais finir par le lire, même si le sujet est terrible.
@ Jérôme : il est terrible, et le choix de cette narration polyphonique montre bien qu'il peut tous nous concerner…
@ Valérie : tout à fait, alors que c'est vraiment le dernier livre que j'aurais imaginé lire!
@Les Livres de Joelle : c'était, à mon avis, la meilleure manière de raconter cette histoire, et l'auteur s'en sort admirablement bien, alors qu'un roman polyphonique est souvent délicat à mettre en place
@Sandrine: c'est toujours le problème quand on a lu trop de billets sur un livre…
@Delphine : oui j'ai été bluffée, l'auteur a su prendre de la distance par rapport à l'histoire vraie pour en faire une vraie oeuvre littéraire
@Marie-Claude : c'est un choix intéressant tant au niveau littéraire qu'au niveau du message qui est passé
@Eimelle : c'est clair qu'on n'en sort pas indemne et qu'il incite à ouvrir l'oeil
@Tant qu'il y aura des livres : exactement!
@ Clara : hâte de lire ton billet!
Bonjour Eva, c'est une histoire terrible narrée de manière sobre mais qui en dit long. Un roman que je conseille aussi. Bonne journée.
@ Dasola : merci Dasola pour ton commentaire! bonne journée à toi également 🙂
Toujours aussi perplexe face au succès de ce livre. Je suis peut-être dur, mais je n'y ai pas trouvé la moindre trace de littérature…
@ Pr Platypus : oui tu es un sans-coeur ! 😀