« Passent les heures » de Justin Gakuto Go est un roman dont je n’avais pas du tout entendu parler, et que je n’aurais donc pas lu s’il n’avait pas fait partie de la sélection du Prix du Meilleur Roman des Lecteurs de Points dont je suis jurée.
Dans ce roman, Tristan Campbell, un jeune Américain, est contacté par un cabinet d’avocats anglais : il se pourrait qu’il soit l’héritier d’Ashley Walsingham, un jeune alpiniste mort en 1924 en tentant de conquérir l’Everest. Celui-ci avait fait un testament dans lequel il léguait son immense fortune à Imogen, qu’il avait autrefois aimée, ou à son descendant direct, pourvu que l’héritage soit réclamé dans les quatre-vingts ans suivant sa mort. Tristan n’a que quelques semaines pour prouver qu’Imogen et Ashley ont eu un enfant, et que cet enfant est bien Charlotte, qui était sa grand-mère. Le jeune homme va parcourir l’Europe à la recherche de preuves déterminant avec certitude que Charlotte n’était pas la fille d’Eleanor, mais bien d’Imogen, la sœur de celle-ci – dans sa quête, il va découvrir l’histoire d’amour entre Imogen et Ashley, une histoire malmenée par la Première Guerre Mondiale.
En voilà un roman au sujet alléchant ! Et bien que « Passent les heures » soit un pavé, je l’ai dévoré ! Le récit alterne les pérégrinations de Tristan qui va parcourir la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Suède, l’Islande..sur les traces d’Ashley et Imogen, et l’histoire d’amour du jeune couple, qui se rencontre alors qu’Ashley s’apprête à partir sur le front. Les aventures de Tristan, entre périple initiatique et enquête policière, sont trépidantes, et la relation entre Ashley et Imogen, deux jeunes gens au caractère intense et jusqu’au boutiste, est passionnante, notamment quand l’auteur nous entraîne dans les tranchées.
Bien sûr, les bémols ne manquent pas. Le récit est bourré de grosses, voire très grosses coïncidences. Justin est contacté au pied levé par le cabinet d’avocats, six semaines avant l’échéance, alors que cela fait quatre-vingts ans que ce cabinet est en possession du testament et que Justin, comme sa mère et sa grand-mère avant lui, ne sortent pas de nulle part puisqu’ils sont les descendants directs d’Eleanor, la soeur d’Imogen. Alors qu’Ashley et Imogen ont été en contact de 1916 à 1924, donc il y a très longtemps, leur correspondance, leurs affaires personnelles, n’ont pas bougé des endroits qu’ils ont fréquentés, que ce soit dans une ferme suédoise, dans une maison du Nord de la France, ou poste restante à Berlin, et il ne faut que quelques heures à Justin pour découvrir les documents et en prendre connaissance… Pourtant le charme opère, j’ai passé outre ces grosses ficelles, et j’ai dévoré « Passent les heures » qui mêle efficacement secrets familiaux, romance – qu’elle soit contrariée ou balbutiante – enquête, aventures et contexte historique… Si Tristan est un personnage un peu plat malgré sa belle énergie, Imogen et Ashley sont plutôt flamboyants, elle féministe avant l’heure, lui pugnace et aventureux. Et quel gâchis que leur relation avortée, alors qu’Ashley – contrairement à beaucoup de jeunes hommes de sa classe d’âge – aura la chance de survivre à la guerre.
Quel dommage cependant que « Passent les heures » se termine en eau de boudin. Alors que Tristan, en Islande, va enfin toucher au but, l’auteur choisit – parce qu’il ne sait pas comment finir son roman? – de faire une ellipse narrative et de ne rien nous dire d’une rencontre cruciale. D’où une impression de « tout ça pour ça » qui m’a laissé un goût amer, surtout après plus de cinq cents pages ! J’ai été vraiment déçue de ce parti pris alors que j’avais été emportée par ce récit, qui malheureusement n’a pas tenu ses promesses…
« Passent les heures » de Justin Gakuto Go est un premier roman prometteur : l’auteur a de bonnes idées, et une vraie maîtrise du souffle narratif . C’est un livre que j’ai lu très rapidement, malgré le nombre de pages, tant j’avais hâte de connaitre le fin mot de l’histoire, faisant fi des facilités du récit. Mais le dernier chapitre m’a vraiment déçue, je n’aime pas ces fins ouvertes où le lecteur a la liberté d’imaginer tout et son contraire, et ceci d’autant plus lorsque le roman comporte comme ici une enquête qui ne sera donc pas entièrement bouclée. Une fin un peu trop facile à mon goût, et la désagréable impression que l’auteur fuit ses responsabilités…
Publié le 6 Novembre 2014 aux Editions Les Escales, traduit par Isabelle Chapman, en poche chez Points.
C’est amusant car j’ai répondu à un tag sur les fins ouvertes ou fermées, et te voilà dans cette situation ! Je comprends ta frustration après 500 pages et j’aime beaucoup ta phrase « fuir ses responsabilités » ..!
c’est un premier roman ? parfois il faut que l’éditeur fasse son boulot, surtout si le lecteur le dévorer et trouve la fin décevante ..
oui j’ai lu ton billet (avant ton commentaire) et j’ai souri quand tu mentionnais les fins ouvertes ou fermées en pensant à ce livre 🙂
peut-être que l’éditeur aime les fins ouvertes…moi, pas du tout !
Il fait partie de mon trio de tête, malgré sa fin totalement raté.
Comme il me reste encore un livre et demi à lire, je n’ai pas encore déterminé mon trio de tête : je pense qu’il y aura Le Coeur du Pélican et La Route de Beit Zeira mais pas encore sûre du 3e