J’avais lu en 2014 un roman choral bien glauque et devenu culte : « Le Diable, tout le temps » de Donald Ray Pollock – un livre noir et poisseux porté par un joli talent d’écriture. J’étais donc impatiente de retrouver l’auteur avec son nouveau roman, « Une mort qui en vaut la peine ».
Autant le dire tout de suite : ce roman est bien moins glauque que « Le Diable, tout le temps ». Autant le précédent était dérangeant, autant celui-ci est beaucoup plus accessible et destiné à un public plus large. Il y a toujours de la violence – mais finalement pas plus que la moyenne – et des déviances, mais en périphérie du récit, pas en plein cœur. J’ai même eu l’impression que Donald Ray Pollock s’était forcé pour injecter un pervers dans l’histoire, alors que le besoin ne s’en faisait pas vraiment sentir.
« Une mort qui en vaut la peine » est un roman choral se passant en 1917, mais avec tout de même des personnages principaux, trois frères : Cane, Cob et Chimney, qui ont une petite vingtaine d’années, et vivent dans une misère noire malgré leur dur labeur en compagnie de leur père. Leur seule distraction est la lecture que leur fait Cane – le seul qui sache lire de la fratrie – d’un roman de gare où le héros est un cow-boy qui commet des hold-ups. A la mort du père, les frères décident d’inspirer du héros du livre pour eux aussi s’extraire de la misère en braquant des banques et des commerces. Ils sont bientôt activement recherchés, et leurs têtes sont mises à prix. Mais on croise également dans ce roman : un couple d’agriculteurs, les Fiddler, qui ont perdu toutes leurs économies à cause d’une escroquerie, et dont le fils Eddie a fugué ; un barman serial killer; un lieutenant féru de littérature qui découvre son homosexualité ; un inspecteur de latrines que la nature a doté d’un appendice sexuel géant…Tous ces personnages vont converger sur un territoire de quelques kilomètres carrés, entre la ferme des Fiddler, le bar, le théâtre local, le camp militaire et le bordel…
Le fil conducteur d' »Une mort qui en vaut la peine » est donc la cavale des trois frères à laquelle viendront, au fur et à mesure du roman, se rattacher les autres personnages. Disons-le clairement, ce roman est moins marquant et percutant que le précédent, qui était une grosse claque et un livre unique en son genre – celui-ci souffre de longueurs, il fait plus de 550 pages et aurait mérité d’être plus condensé. Pourtant ce n’est pas un mauvais livre, loin de là. Le ton est vif, avec beaucoup d’humour, et surtout, l’auteur m’a surprise en mettant en avant des valeurs comme la fraternité, l’amitié ou la solidarité, voire même l’importance de la littérature! Bien qu’ils soient des bandits, les trois frères ne sont pas de vrais méchants, malgré leurs accès de violence. La fratrie est solidaire, et n’aspire finalement qu’à une vie décente dans un foyer aimant. Leurs aventures sont plutôt comiques, et ceci dès le départ puisqu’ils copient le seul modèle qu’ils connaissent qui a mené une vie d’une certaine ampleur… un cow-boy de fiction.
J’ai eu l’impression que Donald Ray Pollock avait évacué une grande partie de sa noirceur, une bile noirâtre et nauséabonde dans « Le Diable, tout le temps » et que ressortait maintenant son côté positif. Certes l’auteur est toujours grinçant et nous dépeint une Amérique rurale et pleine de vices, mais « Une mort qui en vaut la peine » a curieusement un côté « bons sentiments » et un côté moral auquel je ne m’attendais pas . La construction du roman est très maîtrisée, les personnages sont attachants, j’ai aimé l’humour du récit, mais ses longueurs m’empêchent d’y voir une pleine réussite. La lecture était plaisante, mais j’ai quand même mis beaucoup de temps à le finir, ce qui n’est jamais bon signe pour moi.
Que ceux que « Le Diable, tout le temps » repoussait ou mettait mal à l’aise se rassurent, « Une mort qui en vaut la peine » est très différent!Donald Ray Pollock a réussi à écrire un roman bien construit et peuplé de personnages attachants, avec un ton plein d’humour et ô surprise, un côté très humain ! Dommage cependant que des longueurs viennent polluer ce livre et aient un peu gâché mon plaisir de lecture…(et dommage également que le titre original, « The Heavenly Table » n’ait pas été traduit littéralement : « Le Banquet Céleste », terme qui revient régulièrement dans le récit, était quand même plus original qu' »Une mort qui en vaut la peine »!)
Publié en Septembre 2016 chez Albin Michel, traduit par Bruno Boudard, 576 pages.
26e lecture de la Rentrée Littéraire 2016.
J’ai terminé « Le Diable, tout le temps » la semaine dernière et j’ai vraiment beaucoup aimé. Du coup, j’espère trouver le temps de lire « Une mort qui en vaut la peine » rapidement et qu’il me plaira tout autant 🙂
les deux livres sont très différents, mais je suis sûre que tu y trouveras ton compte !
Merci, Eva, pour votre article sur le nouveau livre de Don Pollock ! Je suis ravi qu’il vous ait plu, bien qu’il soit différent du premier. C’était compliqué pour lui de faire de la surenchère après un tel premier roman, mais cette histoire des frères Jewett lui tenait vraiment à coeur. Cela dit, son prochain livre marquera un retour vers l’esprit et l’époque du « Diable, tout le temps »… Pour le titre, c’est celui que Don avait initialement donné au roman, et que son éditeur américain lui a fait changer pour ‘Le banquet céleste », qu’il n’aimait guère. On est donc revenu au titre d’origine et il était très content. D’où la différence. Pour ma part, je trouve qu’ il y a un côté bravache dans ce titre qui convient bien aux trois frères et à leurs aventures inspirées des Bloody Bill Bucket…
Bien cordialement,
Francis Geffard (Ed Albin Michel)
Merci Francis pour votre commentaire et toutes les précisions qu’il comprend!
Je suis ravie d’en savoir plus sur le prochain roman de Donald Ray Pollock, et ce que vous en dites laisse promettre un récit bien noir comme je les aime…
Merci également pour l’explication concernant le titre français, et tant mieux s’il convient mieux à l’auteur!
Cordialement,
Eva
un grand Pollock !! 😀
je sais que tu as adoré ce livre 🙂 pour moi le grand Pollock est le précédent
Des bons sentiments chez Donald Ray Pollock, c’est effectivement inattendu… mais à mon tout prochain programme de lecture quand même.
oui je m’attendais à un twist horrible…et non, en fait.
Il m’attend, hâte de le découvrir même si je doute qu’il égale mon coup de coeur pour Le diable, tout le temps !
ils sont très différents, mais Le Diable tout le temps était vraiment très spécial – celui-ci est un bon roman mais qui n’est ni aussi marquant ni aussi inoubliable que le précédent…(par contre il fait beaucoup moins peur!)
Honnêtement, je ne suis attirée par aucun des deux titres…
Connaissant un peu tes goûts je ne suis pas si surprise…
Je te rejoins complètement sur le fait que ce titre soit différent du Diable tout le temps. Il l’est aussi du recueil de nouvelles de l’auteur, Knockemstiff, très noir et désespéré.
Je n’ai en revanche pas souffert des longueurs que tu évoques, et j’ai trouvé ce titre très réjouissant, la galerie de personnages mis en scène est très inventive, et les aventures de ces drôles de Pieds Nickelés très cocasses !
Merci de me rappeler qu’il faut que je lise Knockemstiff, je suis curieuse de voir ce que peut donner l’auteur avec des nouvelles !
Je n’ai pas encore lu « Le Diable, tout le temps » et celui-ci vient tout juste d’arriver dans ma boîte aux lettres. Cette noirceur ne m’effraie guère, tu t’en doutes bien! Je vais commencer par celui-ci, espérant ne pas trop m’enfarger dans les longueurs! Je manque de patience, ces temps-ci!
pareil que toi, je manque de patience, et déjà que ce roman était gros, je n’avais pas envie de patiner sur des longueurs, d’où un petit agacement…
C’est plus léger et surtout beaucoup plus fouillis qu’un Diable. Disons qu’il lance un tas de pistes sans se soucier vraiment de les voir aboutir et j’ai trouvé ça un peu pénible de ne pas pouvoir refermer toutes les (très nombreuses) portes ouvertes au fil du récit.
oui le Diable était plus dense, et suivait vraiment un cap, même si le roman était également choral.