Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir

Pour l’enregistrement du dernier Bibliomaniacs spécial « Femmes d’exception » (non, nous ne nous sommes pas auto-interviewées), j’ai eu l’occasion de relire les « Mémoires d’une jeune fille rangée », lu quand j’avais 14 ans il me semble – il ne m’en restait d’ailleurs pas grand chose, seulement le souvenir que j’avais aimé ce livre, qu’un certain personnage mourait, et que Simone de Beauvoir mentionnait que Jean-Paul Sartre correspondait tout à fait à l’idéal de ses 15 ans, avis que j’étais loin de partager !

« Mémoires d’une jeune fille rangée » est le premier tome de l’autobiographie de Simone de Beauvoir, ce volume s’arrêtant lorsqu’elle a 21 ans alors qu’elle vient de réussir l’agrégation. Il couvre donc l’enfance, l’adolescence et le début de la vie de jeune adulte de la célèbre philosophe.

La période de l’enfance est peut-être celle que j’ai trouvé la moins intéressante, mais elle a le mérite de poser le milieu dont vient Simone de Beauvoir. L’ayant connue adulte, philosophe et féministe reconnue, je n’avais pas vraiment idée d’où elle venait, imaginant un milieu intellectuel et progressiste. Simone de Beauvoir est en fait née dans une famille bourgeoise, catholique et traditionnelle, même si le père était quand même tourné vers les arts puisqu’il était passionné de théâtre et comédien à ses heures perdues. Ayant connu des échecs dans sa vie professionnelle et de mauvais placements, le père avait peu d’argent par rapport à son milieu social et la famille vivait chichement.

simone beauvoir
Simone de Beauvoir

C’est à l’adolescence que Simone a commencé à s’émanciper de son milieu et de sa famille : par sa lecture, par sa réflexion, elle se pose des questions sur son rapport à la religion, sur ses objectifs intellectuels et sentimentaux, sur son indépendance d’esprit. Très vite, elle se rend compte qu’elle va devoir surmonter beaucoup d’obstacles pour atteindre ses buts. En effet, elle fait ses études dans une école privée pour filles où elle n’est pas forcément très stimulée intellectuellement. Quant à ses parents, ils veulent avoir une fille cultivée et qui fait des études pour pouvoir ensuite travailler – leur situation financière ne leur permettant pas d’entretenir leur fille jusqu’à son mariage, ni de la doter – mais ils ne veulent certainement pas comme fille une intellectuelle qui consacre toute son énergie aux études et a pour but de devenir professeur dans un lycée public, et donc laïque!

« Mémoires d’une jeune fille rangée » dépeint  un milieu et une époque aujourd’hui révolus, Simone de Beauvoir étant née en 1908 : une période où les femmes ne font pas d’études, ne travaillent pas, où se marier est un but en soi et où les mariages doivent être arrangés, mais pourtant le propos reste universel. Les tourments de Simone, ses questionnements, ses disputes avec ses parents, cette notion d’enfermement que l’on ressent profondément à la lecture de ce récit, son désespoir, ses tentatives un peu grotesques pour jouer à la jeune femme libérée (faire la folle dans les bars, se laisser draguer par des bad boys…) sont des passages dans lesquels n’importe quel adolescent d’aujourd’hui peut se retrouver.  Elle a un but dans la vie, que quasiment tout le monde semble vouloir l’empêcher d’atteindre : devenir quelqu’un, devenir une intellectuelle, devenir indépendante, faire de grandes choses. L’auteure nous parle aussi de ceux qui ont compté pour elle, pour qui elle éprouve souvent une forte admiration intellectuelle, certains professeurs, son amie Zaza qui au premier abord semble plus indépendante mais qui est elle aussi victime de son milieu et des conventions, et aussi son cousin Jacques qui fut son premier amour et une grande inspiration.

Je n’ai pas lu d’autres ouvrages de Simone de Beauvoir mais celui-ci est écrit avec un style à la fois élégant et accessible. L’auteure nous raconte sa jeunesse avec introspection et analyse, dissèque sentiments et réactions avec beaucoup de finesse, et pose des yeux d’adulte sur ses années de construction – ce récit ayant été écrit lorsqu’elle avait 50 ans. Certes, j’ai eu parfois l’impression que certains passages tournaient en rond – les problèmes étant toujours les mêmes et se résolvant difficilement –  et il y a aussi un name dropping un peu agaçant lorsqu’elle devient étudiante (en même temps, est-ce sa faute si quasiment tous ses camarades de promotion sont devenus célèbres?) mais c’est un récit passionnant sur la construction et la libération d’une femme et d’une intellectuelle.

« Mémoires d’une jeune fille rangée » de Simone de Beauvoir est un livre très personnel et très marqué par son époque et son milieu, mais il possède un côté universel qui continue donc de parler à des lecteurs nés plusieurs générations après l’auteur. Comme c’est le premier d’une série de cinq volumes, j’ai hâte d’en savoir plus avec le deuxième tome, « La force de l’âge », maintenant que l’auteure a enfin le diplôme et l’indépendance nécessaire, qu’elle soit mentale ou financière, pour pouvoir pleinement vivre sa vie.

Publié en 1958, disponible en poche chez Folio, 480 pages.

18 commentaires sur “Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir

  1. J’ai lu et relu « Le deuxième sexe » surtout les chapitres concernant la maternité et la femme mariée.

    Je crois que celui-ci me plairait aussi! Je vais écouter le podcast!

  2. Un de mes roman cultes ! J’avais tellement aimé que je m’étais enfilé toute la série d’un coup, mais ils ne sont pas tous aussi bons, même si ça reste un très bon témoignage de la vie intellectuelle de l’époque.

  3. Comme je te l’ai dit j’ai adoré ce roman il y a quelques années, c’est peut-être l’une des seules autobiographies lues dans le cadre de ma khâgne dont je garde de très bons souvenirs !
    J’ai très hâte de lire La Force de l’âge aussi que je repousse depuis trop longtemps…

Répondre à Eva Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *