Après s’être intéressé à sa famille paternelle dans « La Cache » (que je n’ai pas lu), Christophe Boltanski se penche cette fois-ci sur sa mère, Françoise, dans son nouveau livre « Le Guetteur ».
A la mort de leur mère, Christophe et sa sœur Ariane vident son appartement. Françoise, une femme atypique, y vivait quasiment recluse depuis des années, au milieu d’un entassement d’objets et de documents. Parmi les papiers, Christophe trouve plusieurs débuts de manuscrits, des polars – le genre préféré de sa mère. Il y est question de filatures, de voyeurisme, de harcèlement…cela interpelle le fils, qui tombe également sur un compte rendu grâce auquel il comprend que sa mère avait engagé un détective pour suivre un homme. Cela le pousse à enquêter sur la vie de Françoise, en interrogeant notamment ses anciens voisins, sa psychiatre ou encore des personnes qui, comme elle, faisaient partie d’un réseau de « porteurs de valises ».
En effet, Françoise, lorsqu’elle avait une vingtaine d’années, était opposée au colonialisme et à la guerre en Algérie et faisait partie d’un réseau de jeunes gens qui aidaient le FLN. C’est ce que nous raconte Christophe Boltanski dans « Le Guetteur », en alternance avec le récit de l’enquête qu’il mène sur sa mère.
Des livres consacrés à un parent, il y en a beaucoup, mais Françoise sort vraiment du lot : c’est une femme intrigante, auréolée de mystère, et Christophe Boltanski évoque très peu les liens qu’ils entretenaient – les anecdotes familiales ne sont pas le sujet de ce livre, Françoise n’est pas vraiment évoquée ou imaginée ici en tant que mère, mais bien en tant que femme. Une femme qui semble vivre dans un no man’s land : pas totalement coupée du monde puisqu’elle a milité toute sa vie pour diverses causes, mais néanmoins recluse, menant une vie solitaire qu’elle consignait dans ses carnets : cigarettes, bruits étranges, coups de fil bizarres…lui en voulait-on? était-elle espionnée?
Drôle de femme, mi-intellectuelle mi-marginale qui semble avoir passé sa vie entière couchée, à lire, fumer, écrire…avec une parenthèse de dix ans, entre quarante et cinquante ans, où elle fut une business woman négociant des contrats d’audiovisuels à l’international ! Christophe Boltanski livre ici un double récit écrit comme un polar, et qui m’a tenue en haleine, entre le tout début des années 60, où « Sophie », son nom de code, s’engage auprès du FLN, et la période actuelle où il tente de désopacifier la vie de Françoise, une mère dont il sait finalement peu de choses, qu’il semblait voir souvent mais qui apparait ici comme quasi inconnue de lui.
On croise dans ce récit des cadres du FLN, le créateur des Barbapapa, des jumeaux bretons fans de rockabilly, un ancien détective reconverti en commercial dynamique, une psychiatre qui prend la carte Vitale à la fin de l’ entretien…et toujours ce fil conducteur : qui suit/ qui est suivi?, qui harcèle/qui est harcelé? Et puis cette frontière, toujours floue entre réalité et paranoïa, voire mythomanie…
Qui était Françoise, cette femme floue et énigmatique que personne ne semble vraiment connaître, même ses plus proches parents? « Le Guetteur » est un livre qui m’a agréablement surprise, car Christophe Boltanski s’affranchit des codes du roman familial et trace le portrait de sa mère à la façon du polar, avec une écriture non dénuée d’humour. Autre originalité, le thème transverse à cet ouvrage, car il y a finalement peu de livres qui abordent le sujet des porteurs de valises…Un livre atypique, à l’image de la mère de l’auteur, à découvrir!
Publié en Août 2018 chez Stock, 288 pages.
2e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2018.
« La cache » m’avait plu (bien qu’un brin confus à mon sens), et là, je ne sais pas si j’ai envie de ce roman… Ton billet me plait, en tout cas !
tente-le, je pense vraiment qu’il peut te plaire!
Autant j’ai été touchée, parfois très émue par ma lecture de La cache, autant je suis restée totalement extérieure ici. Je n’ai pas vraiment perçu l’humour dont tu parles, je n’ai ressenti que beaucoup de froideur dans cette démarche d’enquête (qui est certainement liée à la distance entre le narrateur et sa mère) et je ne me suis jamais sentie en empathie ni avec le personnage de cette femme ni avec la quête du narrateur. Bref, rencontre ratée cette fois !
je vais essayer de lire « La Cache » pour me rendre compte de la différence de traitement entre ces deux récits…en revanche, puisque j’ai aimé « Le Guetteur », j’ai peur de ne pas aimer le précédent 😉
Même ressenti que Nicole, même impression de froideur… Je me suis ennuyée… alors que j’avais beaucoup aimé la cache.
ah c’est bizarre, moi je l’ai dévoré comme un polar et je n’ai pas eu du tout cette impression de froideur!
J’avais déjà noté La cache, que je n’ai toujours pas lue, celui-ci me tente bien, et le mix rockabillie/fln/créateurs de Barbapapa m’intrigue :p
oui, un cocktail assez improbable en effet 😀