Dans « L’île aux enfants » d’Ariane Bois, nous sommes loin du pays joyeux de Casimir.
Dans les années 60 à la Réunion, deux petites filles qui sont sœurs, Pauline et Clémence Rivière, sont enlevées alors qu’elles se promènent, et sont envoyées par avion, avec des dizaines d’autres enfants, en métropole. Arrivées dans la Creuse, elles se retrouvent dans un centre où défilent des gens qui viennent choisir des enfants. Pauline est placée dans une ferme où vit déjà un autre petit Réunionnais, tandis que Clémence part avec un couple : les deux sœurs sont séparées.
Après un drame, Pauline va être adoptée par une famille qui la renomme Isabelle. Tombée gravement malade, elle va subir d’importantes pertes de mémoire et le souvenir de sa sœur va s’estomper jusqu’à ce qu’elle découvre par hasard des éléments de son passé…plusieurs décennies plus tard, la fille de Pauline/Isabelle va mener l’enquête et découvrir l’ampleur de ce scandale national…
L’écriture est plus journalistique que littéraire mais finalement, peu importe. A travers l’histoire de Pauline, enfant meurtrie et attachante, arrachée à ses parents puis à sa sœur, dont les origines et l’identité sont niées, l’autrice met en lumière celles de milliers d’enfants, surnommés « les enfants de la Creuse ». Le personnage de Caroline, la fille de Pauline, appartient à la génération d’après : elle va enquêter, découvrir la vérité et dénoncer…
Sous l’impulsion de Michel Debré, l’Etat français a organisé de 1963 à 1982 (!) la déportation de plus de deux mille enfants réunionnais, vers des départements connaissant l’exode rural, notamment la Creuse. Si certains enfants étaient orphelins ou abandonnés, beaucoup ont été arrachés de force à leurs parents ou sont devenus pupilles de l’état lorsque leurs parents illettrés ont signé des papiers qu’ils ne pouvaient pas comprendre.
Les conséquences seront terribles : des familles éclatées, séparées ; des enfants coupés de leur île, de leurs racines ; certains seront victimes de mauvais traitements, voire même réduits en esclavage, devant travailler comme employés de ferme ou domestiques sans être payés et sans pouvoir avoir aller à l’école. Les dépressions, les suicides seront nombreux.
Je n’ai pas forcément été convaincue par tous les choix narratifs de « L’île aux enfants », mais Ariane Bois a le mérite de dénoncer cet épisode extrêmement choquant de l’Histoire française récente et le rôle odieux de l’Etat. Comment ne pas être bouleversée par le destin du petit Gaëtan, ne pas être révoltée par ces droits bafoués? L’autrice montre que si certaines familles étaient aimantes et que leur démarche partait d’un bon sentiment, elles pensaient accueillir chez elles un enfant orphelin ou abandonné, d’autres ne cherchaient qu’une main d’oeuvre gratuite, traitée pire qu’un animal – il est effarant de constater que l’Administration Française a pu séparer des enfants de leurs parents et de leur fratrie, de force ou avec des mensonges, pour qu’ils soient ensuite réduits en esclavage tout en proclamant que c’était pour leur bien.
Une lecture édifiante !
Publié en Mars 2019 chez Belfond, 240 pages.
je crois n’avoir jamais rien lu sur ce sujet et tu sembles emballée.
c’est un roman très instructif en effet…
Je me souviens m’être laissée embarquer dans cette lecture sans réelles réserves, même si l’histoire est un peu cousue de fil blanc. En tout cas, c’est en effet tout à fait édifiant !
je me souviens de ton billet, effectivement il y a des bémols, mais ce roman a le mérite de faire parler de ce scandale absolu
J’ai entendu parler de ce apsssage de l’histoire lors d’une émission où des « enfants » maintenant bien adultes témoignaient… Ça paraît très moyenâgeux comme pratique et pourtant c’était il n’y a pas si longtemps…
oui, c’est fou quand on voit que ça s’est arrêté en 82! juste quelques années avant notre naissance…
Je ne connaissais absolument rien de ce moment terrible de l’Histoire. Terrible… Ça pique ma curiosité…
j’en avais entendu parler car il y a eu un documentaire diffusé à la télé française, mais c’est très peu connu…et terrible, en effet.