California Girls – Simon Liberati

J’avais lu l’an dernier « Eva » de Simon Liberati, un récit très personnel et controversé consacré à sa femme, Eva Ionesco, célèbre malgré elle à cause de photos érotiques la mettant en scène enfant et prises par sa mère. Cette fois-ci, dans « California Girls », Simon Liberati s’attaque à un des épisodes les plus sombres de l’histoire criminelle des Etats-Unis, les meurtres commis par la famille Manson, et notamment celui de Sharon Tate et ses amis.

« California Girls » se passe durant les quelques jours où tout va basculer. Le roman nous ouvre les portes du fameux ranch où vivait Charles Manson, alors âgé de trente-cinq ans, en compagnie de toute une faune : motards, cowboys, et une ribambelle de très jeunes filles, mineures et en rupture complète avec la société et leurs parents– fugueuses, filles mères… Certaines étaient arrivées au ranch avec des bébés, d’autres en ont eu sur place. Les enfants vivaient en totale liberté dans la communauté, sales et mal nourris, comme les adultes (je me demande d’ailleurs ce que sont devenus ces enfants, et quelle vie ils ont mené après le démantèlement du ranch). Les filles, qui passaient d’hommes en hommes, étaient quasiment en permanence sous drogues, entre délires et hallucinations et cherchaient de quoi se nourrir dans les ordures, vêtues de guenilles et dégoûtantes de saleté. La plupart avaient eu une vie cabossée, et Manson était le premier à leur témoigner un peu d’attention ou d' »affection ». Vu comme une sorte de Dieu vivant, Manson avait une emprise totale sur les habitants, et surtout les habitantes du ranch, qui semblaient vivre dans une sorte de monde parallèle, où les lois et les règles de la société n’avaient plus cours. L’époque était certes propice à la contestation, mais, les meurtres le montreront, il n’y avait dans ce microcosme plus de morale ou de respect pour la vie humaine, la seule Loi étant les directives et desiderata de Manson.

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Simon Liberati

Simon Liberati semble avoir réalisé un grand travail de documentation pour écrire ce livre. Toutes les scènes, que ce soit de la vie quotidienne au ranch ou les meurtres, sont très bien décrites, et il n’est pas difficile de se représenter les lieux et les actes. Le meurtre de Sharon Tate, alors enceinte de huit mois, et de ses amis, est au centre de ce roman et en représente une grande partie. La plume de Liberati est précise, sans pour autant être voyeuriste ou trop violente, ce dont j’avais un peu peur – car vu certains passages d’« Eva », je savais que l’auteur pouvait parfois être un peu malsain. Il nous montre des tueurs n’ayant pas vraiment préparé leurs meurtres, ne sachant d’ailleurs pas qui ils vont tuer – à la base ils se rendaient dans la villa pour châtier le précédent propriétaire, Terry Melcher, un producteur que Manson, qui avait été très proche des Beach Boys, tenait responsable de son manque de succès dans la musique – et qui s’abandonnent, un peu comme des animaux, à leurs instincts de violence, torturant et tuant sans peur ni regrets.

Simon Liberati se concentre surtout sur les filles ayant participé aux meurtres, Manson, s’il est quand même très présent, notamment dans la tête et dans les délires des filles, étant plutôt à l’arrière-plan du récit. C’est d’ailleurs un des prisonniers les plus célèbres au monde, mais il n’a jamais tué lui-même, étant « seulement » l’instigateur des crimes. Difficile d’ailleurs, avec le recul, de comprendre comment cet homme petit (1m54), fluet et plutôt moche pouvait fasciner à ce point, et autant de monde – un culte qui perdure encore aujourd’hui… Son but était de créer le chaos entre noirs et blancs, en faisant commettre des crimes horribles dans les beaux quartiers et en accusant les noirs de ces crimes (En me renseignant sur lui suite à la lecture du livre, j’ai lu que son père biologique aurait été afro-américain, même si lui-même ne semble pas être métis…).

L’écriture de Liberati est réaliste et mesurée, et il y a de très beaux passages, notamment le passage final. « California Girls » est un roman ni gore, ni ampoulé, ni lyrique, mais plutôt bien mené et maîtrisé. J’ai cependant regretté que l’on ne s’attache pas plus aux filles impliquées dans les meurtres. A mes yeux, elles étaient toutes similaires, sales, puantes, échevelées et paumées, et j’avais beaucoup de mal à les distinguer les unes des autres – heureusement, l’une était rousse, et une autre « gentille », ce qui aidait un peu, mais pour moi c’était une masse grouillante qui ne suscitait ni empathie, ni pitié, ni attachement – il est vrai que les membres d’une secte font rarement preuve d’une personnalité très forte. J’ai regardé les actes et les paysages défiler sous mes yeux mais sans m’ancrer véritablement dans le récit puisque je ne savais pas à qui m’accrocher ou m’identifier : que se passait-il vraiment dans leurs têtes, comment en étaient-elles arrivées là, que leur est-il arrivé ensuite? Je viens de commencer « The Girls » d’Emma Cline, un premier roman américain qui, coïncidence, évoque – de façon romancée – également la « famille Manson », mais sous l’angle d’un récit à la première personne où la narratrice est une jeune fille impliquée dans les meurtres qui raconte sa vie en 1969 et à l’époque contemporaine. Un angle qui, je pense, me conviendra mieux que celui choisi par Liberati, même si « California Girls » est de très bonne facture.

Publié en Août 2016 aux éditions Grasset, 342 pages. 

3e lecture de la rentrée littéraire 2016 et 3e participation au Mois Américain 2016

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29 commentaires sur “California Girls – Simon Liberati

  1. Je ne veux lire ni l’un ni l’autre – j’adore Sharon Tate et tout ce qui tourne autour du sectaire me rebute. Même les livres sur les scouts 😉
    Par contre, ayant lu plus de billets sur l’autre roman, la jeune fille en question ne participera pas aux crimes, contrairement à celles que tu décris ici. J’ai encore croisé une photo de ce type, et il était laid… j’ignorais qu’il était si petit !

    1. figure toi que je n’ai jamais vu Sharon Tate dans un film ! je vais bientôt commencer le Butler sur les scouts, justement 😉
      dans The Girls, le côté sectaire n’est pas du tout le sujet principal, finalement c’est plutôt un livre sur l’adolescence, un roman d’apprentissage

  2. J’ai lu The girls et j’ai adoré ce roman qui parle très bien du malaise de l’adolescence et du mécanisme de fascination à l’oeuvre dans la secte de Manson. Je vais faire le chemin inverse au tien puisque j’ai également dans ma PAL le Liberati et je trouve intéressant de voir le traitement très différent de ce fait divers terrifiant.

  3. On parle beaucoup de la « famille » Manson avec ces deux romans, et voilà que je tombe sur une nouvelle qui l’évoque dans le recueil de Claire Vaye Watkins, Nevada… Le père de l’auteure faisait partie de la clique de Manson à un certain moment… A part cette anecdote, je n’ai pas aimé ces nouvelles et pas fini le livre.

    1. décidément, beaucoup de coïncidences!
      je ne connais pas du tout ce recueil…ni cette auteure d’ailleurs… j’ai un peu regardé sur Internet au sujet de son père, et effectivement il était l’un des « lieutenants » de Charles Manson mais a quitté la Famille juste avant la spirale de violence, et il a témoigné contre lui au procès Sharon Tate…

  4. J’attends ton avis sur The girls (tu dois l’avoir fini à l’heure qu’il est 😉 ). J’avoue ne pas être à l’aise avec Liberati. Je ne l’ai jamais lu, mais il ne m’attire pas du tout, je ne saurais pas bien dire pourquoi. Les sujets qu’il traite, sans doute…

    1. yes, je l’ai fini en rentrant du prix Points ^^ mon billet sera en ligne demain.
      effectivement il a quelque chose qui me tenait à distance avant qu’il publie son livre « Eva » que j’ai lu pour une histoire d’égo ^^

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