Iakovos Kambanellis était un dramaturge et scénariste grec, très connu dans son pays. A 20 ans, en Octobre 1943, il essaie de franchir la frontière entre l’Autriche et la Suisse. Arrêté, il est envoyé à Mauthausen – il sera libéré par les Américains en Mai 1945.
Iakovos Kambanellis pourrait être rapatrié rapidement en Grèce, mais tous ses compatriotes dans le camp, hommes comme femmes, sont Juifs et la plupart veulent partir en Palestine. Iakovos choisit de rester avec eux le temps que leur départ soit organisé et est même élu en tant que représentant grec au Comité d’Administration de Mauthausen. Il va donc demeurer dans le camp libéré durant trois mois avant de rentrer en Grèce en Août 45.
C’est à ce moment qu’il remplit plusieurs carnets avec des notes sur la période où il était prisonnier à Mauthausen et sur les mois où il est resté dans le camp libéré. Il reprendra ses notes vingt ans après, alors que le monde est déstabilisé par la guerre froide : « Mauthausen » est publié en feuilleton dans un journal grec en 1963, puis deux ans après sous la forme d’un livre. En 1995, il retravaille le livre pour en publier une nouvelle édition.
J’ai lu beaucoup d’ouvrages sur la déportation, mais Mauthausen, qui est constitué de vignettes qui abordent tout autant l’atrocité des années passées dans le camp, que la période des quelques mois après la libération, possède une grande puissance évocatrice et une véritable originalité. Iakovos Kambanellis nous parle des déportés qui redécouvrent la liberté, leur corps, les émotions positives. Ils reprennent des kilos, ont les cheveux qui poussent, il y a même des histoires d’amour qui éclosent … Iakovos lui-même se lie à une jeune déportée lituanienne et va vivre quelques épisodes qui parfois frôlent l’absurde. Mais l’auteur évoque également ses camarades qui vont succomber quelques jours ou quelques semaines après la libération, et la peine que cela lui procure, doublée d’un sentiment d’injustice.
« Mauthausen » est un témoignage rare et pertinent du camp mais aussi de la vie du camp après la libération, avec ces prisonniers qui sont originaires de tous les pays d’Europe, et qui sont de tout bord politique. Cette période de libération, dans toute sa diversité, préfigure les conflits des cinquante ans à venir, même si Iakovos Kambanellis a l’espoir que la fin de la guerre marque le début d’une époque apaisée et respectueuse du genre humain – un espoir qui sera malheureusement déçu. « Mauthausen » de Iakovos Kambanellis est un ouvrage à la fois riche et passionnant, original aussi dans sa forme et dans les thèmes abordés, que je vous recommande chaudement.
Publié en Janvier 2020 chez Albin Michel, traduit par Solange Festal-Livanis, 384 pages.
24e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2020.
il faudra que je le lise un jour
j’avais vu un documentaire sur ceux décédés juste après la libération des camps .. c’est très dur…
j’ai écouté bibliomaniacs hier et j’ai bien aimé retrouver ta voix ! et ton ton !
ah merci !! contente que tu aies aimé 🙂
Je ne connais pas du tout. Du coup, je suis curieuse du récit « après libération ». J’en ai peu lus.
oui souvent ça s’arrête à la libération…
Une critique fouillée et fine tu l as écrite avec ton cœur ce roman je le mets dans ma PAL
merci beaucoup !
Ta chronique est excellente.
Tu as raison, c’est vraiment un livre important, un témoignage fondamental.
Les allers et retour, dans le récit, entre la période de joie (même nuancée) qui a suivi la libération du camp et la période antérieure font que l’ensemble est allégé et que ce n’est pas un texte déprimant !…
On s’intéresse en premier à ces hommes et femmes libérés qui découvrent qu’ils sont restés des humains malgré tout, qui se réjouissent d’aller boire un verre au village, qui tombent amoureux…Les femmes se cousent des robes dans les tissus qu’elles trouvent, invitent à une fête les hommes dans leur baraque, on danse !
On n’oublie pas ce qui s’est passé « avant » ! On en parle, il reste de lourds traumatismes mais la joie de vivre est là, bien présente !
J’ajouterai que Iakovos Kambanellis est l’auteur des poèmes mis en musique par Mikis Théodorakis dans La Ballade de Mauthausen ( la deuxième chanson, Andonis, évoque, comme dans le livre, le Grec qui a porté un rocher énorme dans les escaliers de la carrière… )
Merci à toi d’avoir présenté ce livre riche et enrichissant, qui a obtenu le Prix du Livre Etranger 2020.
Très contente que ce livre t’ait plu !