Vie de ma voisine – Geneviève Brisac

Je connais très peu Geneviève Brisac, je n’ai lu qu’un seul de ses romans, « Dans les yeux des autres » en 2014, que je n’avais pas aimé du tout, et que d’ailleurs j’ai complètement oublié, je serais bien incapable de dire de quoi il parle ! Pourtant j’ai eu envie de lire son nouveau livre, « Vie de ma voisine », le résumé m’ayant interpellée…

L’auteure emménage dans un nouvel appartement, et rencontre une de ses voisines, une femme âgée qui l’aborde en lui disant qu’elle a bien connu Charlotte Delbo (Geneviève Brisac a en effet écrit sur la femme de lettres, résistante et déportée). Geneviève Brisac devient progressivement amie avec cette voisine, qui lui raconte sa vie. Eugénie – dite Jenny – Plocki est née en France en 1925, de parents juifs polonais, qui vendaient des bas et des chaussettes sur les marchés. Lorsque la guerre éclate, c’est l’engrenage : l’inscription au commissariat pour avoir le tampon « juif » sur la carte d’identité, le panneau « entreprise juive » sur l’étalage au marché, les interdictions, l’étoile, les rafles…et puis ce 16 juillet 1942 où un policier – un ancien voisin – frappe à la porte pour arrêter Jenny, ses parents et son petit frère Maurice. Mais les enfants français peuvent être libérés : puisque c’est le cas de Jenny et Maurice, nés en France, leurs parents, contrairement aux autres, décident de les laisser partir. Les enfants rentrent chez eux, et fait incroyable, y resteront jusqu’à la fin de la guerre, aidés par la meilleure amie de Jenny et sa mère – Jenny passera même son bac en 1944. Ses parents seront déportés à Auschwitz et ne reviendront pas.

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Geneviève Brisac

Geneviève Brisac laisse en grande partie la parole à Jenny, et on sent son admiration, son attachement, sa tendresse et son respect pour elle. Ce court récit est parsemé de très belles phrases, et l’amour de Jenny pour ses parents transpire quasiment à toutes les pages. Des parents qui, certes, ont été assassinés quand elle était adolescente, mais qui en peu d’années – elle les a perdus à dix-sept ans – ont façonné la femme qu’elle est et le tournant qu’a pris sa vie, des parents qui même morts sont  » à (ses) côtés, pour (lui) donner le courage de vivre et de triompher des épreuves ». Nuchim et Rivka, surtout Rivka, ont laissé derrière eux la Pologne, avec sa misère, ses traditions juives, pour être libres et athées en France, même au prix des difficultés à être étranger, à ne pas toujours maîtriser la langue et les démarches. Rivka est féministe, cultivée – et elle transmet ses convictions à ses enfants : pas de superstitions, pas d’obéissance idiote, mais l’indépendance et la liberté. Pendant les deux heures où le commissaire vérifie si Jenny et Maurice sont bien français, alors qu’elle devine qu’elle et son mari vont mourir, elle transmet à sa fille tout ce qu’elle doit savoir dans la vie. Nuchim, quant à lui, parviendra à jeter une lettre du train qui l’emmène à Auschwitz – un message en yiddish qui se termine par « vivez et espérez ».

Et ces deux verbes sont à l’image du discours de Jenny. Malgré l’horreur de la guerre, de l’assassinat de ses parents, elle mènera une vie pleine d’énergie, de combats et d’engagements. La vie lui a appris qu’une simple décision peut tout faire basculer : aller se faire déclarer comme juifs à la préfecture a précipité la mort de ses parents, mais le fait que sa mère ait décidé de l’envoyer dans une certaine école et pas dans une autre lui a certainement sauvé la vie, en lui faisant rencontrer Monique son amie qui l’aidera et la protégera – une amitié de près de 80 ans. Jenny est devenue une passeuse, par ses deux métiers : la traduction, et l’enseignement – surtout avec l’apprentissage de la lecture, appliquant dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle ce que lui ont transmis ses parents.

Je ne pensais pas aimer autant « Vie de ma voisine » mais le témoignage de Jenny Plocki est vraiment beau et émouvant. Au niveau historique, ce qu’elle raconte est intéressant et surprenant – je n’aurais jamais pensé que deux adolescents juifs puissent survivre sans vraiment se cacher pendant plus de deux ans en pleine guerre – et les passages concernant ses parents sont magnifiques. C’est un superbe portrait de femme et un livre pertinent sur la mémoire et la transmission.

Publié le 4 Janvier 2017 chez Grasset, 180 pages.

1ere lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2017, challenge organisé par Laure de MicMélo.

33 commentaires sur “Vie de ma voisine – Geneviève Brisac

  1. Très joli billet et ce thème me parle beaucoup 😉

    Je lis un roman où la fille est petite-fille de déportés (morts à Auschwitz également) et filles de .. exilées en Amérique et qui elle vit la situation très différemment !

    Je le note pour la BM

  2. Bien sur que le thème m’intéresse!

    Mais j’attendrais un peu… j’ai terminé l’année avec « Etre sans destin » qui raconte la vie au camps et j’ai besoin de laisser passer un peu de temps. Je le note précieusement.

    1. oui, Etre sans destin est une histoire difficile, et je comprends que tu aies envie de souffler un peu!
      dans ce récit, les camps sont abordés de façon indirecte (l’histoire des parents, du compagnon de Jenny, ainsi que de Charlotte Delbo) et pas frontalement.

  3. Bien sûr, après un tel billet, je note sur mes fiches d’acheter cette vie de ma voisine ! Merci pour vos repérages précieux, moi, j’ai repéré (entre autres, il y a tellement) Nous, les passeurs , de Marie Barraud. Robert Laffont. Et La vie magnifique de Frank Dragon, de Stéphane Arfi.

  4. Geneviève Brisac évoquera « Vie de ma voisine » dimanche 15 janvier à 14 heures dans l’Humeur Vagabonde de Kathleen Evin. Une heure à ne pas manquer comme souvent.

  5. Noté ! C’est le deuxième billet favorable que je lis, et bien que je n’ai pas lu cet auteur depuis longtemps (et que rien de ses écrits ne me soit resté en mémoire), je vais sûrement me laisser tenter ;o)

    1. cet ouvrage a l’avantage d’être court et de se lire très bien, en plus d’être vraiment très intéressant, c’est donc le livre parfait pour redécouvrir cette auteur

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