« Un Père Sans Enfant » de Denis Rossano est un livre que j’ai découvert dans le cadre de l’opération « Varions les Editions », j’ai d’ailleurs pu, à cette occasion, participer à un live passionnant avec l’auteur.
Je connaissais bien sûr de nom Douglas Sirk, célèbre réalisateur d’Hollywood, mais j’ignorais en revanche qu’il était allemand, né Detlef Sierck, et qu’il avait été au préalable un des réalisateurs les plus connus de l’Allemagne des années 30.
Denis Rossano met en scène un narrateur qui lui ressemble beaucoup, étudiant en cinéma dans les années 80, qui a l’opportunité de rencontrer Douglas Sirk à Lugano, où celui-ci réside, et de s’entretenir avec lui de son implication dans le cinéma allemand, en pleine période nazie…mais aussi, en filigrane, de son secret le plus douloureux, son fils, Klaus.
En effet, Detlef/Douglas a eu, de son premier mariage, un fils, né en 1925. Le divorce étant houleux, son ex-femme obtient la garde de Klaus et un jugement interdisant à Detlef de voir son fils. Alors que Detlef se remarie avec Hilde, une jeune comédienne juive, son ex-femme devient une nazie fanatique…
Denis Rossano recrée avec brio le monde du cinéma allemand des années 30, dans toute son ambiguïté. Goebbels, ministre de la Propagande, contrôle bien sûr les studios et la production de films, mais il laisse cependant une certaine liberté – toute relative – aux réalisateurs, car le cinéma est vu comme une bouffée d’oxygène pour la population allemande, un moyen de se changer les idées, et la plupart des films tournés ne servent donc pas la propagande nazie. Alors que certains de ses pairs (Marlene Dietrich en tête) font très vite le choix d’émigrer, Detlef Sierck va rester et rencontrer un grand succès avec ses films – il profite en effet d’opportunités en Allemagne qu’il n’aurait pas forcément eues à l’étranger. Mais l’espoir de retrouver – et de sauver? – son fils Klaus est sans doute aussi une raison qui le pousse à demeurer en Allemagne.
Klaus, qui est la parfaite incarnation du petit aryen, est en effet devenu un enfant star et joue dans de nombreux films à succès, certains servant la propagande nazie. Le père et le fils évoluent donc dans le même milieu, mais sans jamais se rencontrer…En 1937, Detlef se résout à fuir l’Allemagne, son épouse Hilde étant en danger, et s’installe aux Etats-Unis où, après quelques années de disette, il va collectionner les succès.
Il ne reverra jamais son fils, mais un grand nombre de ses films évoquent en filigrane son histoire personnelle et les relations père-fils. Quant à Klaus, son destin montre que l’époque était cruelle même avec les stars, puisqu’il va tomber en disgrâce et connaître une fin tragique.
« Un Père Sans Enfant » est absolument passionnant, et je l’ai dévoré, non seulement parce que la vie de Detlef/Douglas – personnelle et professionnelle – est très intéressante, mais aussi parce que l’auteur évoque en évitant tout manichéisme un grand nombre de réalisateurs et d’acteurs très en vue dans l’Allemagne nazie. Tous n’étaient pas nazis, et la plupart n’ont pas joué dans des films de propagande, mais ils ont profité de privilèges auxquels il était difficile de renoncer pour partir dans un pays étranger où ils n’auraient sans doute pas connu le même succès, ne serait-ce qu’à cause de la barrière de la langue. A l’inverse, certains ont été honnis pour leur participation à la propagande nazie, comme Ferdinand Marian qui jouait le Juif Süss… tout en cachant l’ex-mari juif de sa femme dans sa maison…
« Un Père Sans Enfant » est un livre riche, bourré de références cinématographiques (et qui donne d’ailleurs envie de découvrir tous ces films – , qui retrace une période sombre et complexe. Le choix de la relation père-fils comme fil conducteur est une réussite, on sent l’émotion de l’auteur, touché personnellement par cette histoire qui fait écho à la sienne. S’il y a une part de fiction dans ce livre – et notamment la rencontre entre le narrateur et le réalisateur, à laquelle j’ai cru jusqu’à ce que je m’aperçoive que l’étudiant était trop âgé pour être réellement Denis Rossano – toutes les informations liées à Detlef/Douglas et à Klaus sont authentiques. A lire absolument !
Publié en Août 2019 chez Allary, 368 pages.
33e lecture de la Rentrée de Septembre 2019.
J’avais beaucoup aimé ce livre, très instructif sur l’histoire du cinéma allemand et de la propagande, mais en même temps il se dégage une profonde tristesse de l’histoire de cette histoire manquée entre un père et son fils.
c’est exactement ça !
je note ton engouement. Avec ce titre, je pensais à d’autres thèmes mais celui-là m’intéresse.
une vraie belle surprise !
je note ton engouement, moi qui ai longtemps adoré le cinéma de cette époque. Oui, c’est comme les Français qui ont continué de jouer et tourner pendant l’Occupation ..
je vais essayer de me le procurer .. quelle triste histoire que celle d’un père et d’un fils …
je pense vraiment que ce livre pourrait te plaire.