Après avoir beaucoup aimé « L’Inconnu de la Poste », j’ai profité de Quais du Polar pour m’offrir « Le Quai de Ouistreham ».
À Caen, Florence Aubenas se fait passer pour une personne sans qualification et qui n’a pas travaillé depuis vingt ans, et s’adresse à Pôle Emploi qui l’oriente vers des missions de femme de ménage.
Elle constate rapidement qu’il ne s’agit pas dans son cas de trouver un emploi mais des « heures », payées parfois même en dessous du SMIC, très tôt le matin, tard le soir, ou durant les week-ends. Elle raconte la voiture obligatoire, les 2h de route pour travailler 1h, le corps qui s’épuise à tirer des chariots et porter des seaux, le sommeil réduit au minimum quand on enchaine les missions de nuit et du matin, le forfait de 3h15 pour un travail qui en prend 6, les clients pour qui on est transparent, ceux au contraire qui cherchent à la piéger ou à saboter son travail…
Mais aussi le peu d’assentiment qu’elle reçoit quand elle dit à ses collègues qu’elle ne trouve pas ces conditions normales : la plupart ont toujours vécu dans la précarité, n’ont pas le choix et ne se rendent pas forcément compte des abus. Comme se souvient son amie Victoria, même les syndicats ne défendaient pas vraiment son corps de métier, doublement stigmatisé : féminin, et précaire.
J’ai retrouvé l’œil humaniste de Florence Aubenas que j’avais tant apprécié : il y a quelque chose de chaleureux dans ce livre, un vrai talent descriptif pour faire vivre les scènes et les personnages, avec le détail qui fait mouche, et toujours une pointe d’humour.
Malgré les conditions de travail difficiles, l’autrice va faire l’expérience de l’esprit d’équipe, de la solidarité, et nouer de vraies amitiés. On peut certes reprocher au livre de n’être qu’une infiltration dans la précarité sans en avoir l’historique, le vécu, sans la peur de ne pas pouvoir payer son loyer ou les pneus qui permettent d’aller travailler, mais Florence Aubenas ne prétend pas ici être une personne précaire, c’est bien son expérience sur le terrain qu’elle nous raconte.
Un document marquant.
Publié en 2010 chez L’Olivier, en poche chez Points, 276 pages.
Pour revenir sur la dernière partie de ton billet, j’ai en effet lu plusieurs avis reprochant à Florence Aubenas une certaine condescendance, et le fait que, n’évoluant que temporairement dans ces « basses couches » de la société, son témoignage était faussé. Je suis en désaccord total avec ces deux points de vue. J’ai au contraire trouvé qu’elle s’était vraiment immergée dans cet environnement étranger, et qu’en laissant de côté sa peau de journaliste au profit de celle d’une salariée précaire, elle donne à son « reportage » crédibilité et humanité.
oui je trouve qu’elle a un oeil vraiment humaniste et bienveillant, et qu’elle fait le maximum pour être sur le terrain, vivre les situations de l’intérieur, au lieu d’observer à distance.
J’avais lu des extraits de ce livre à sa parution, et je l’avais trouvée courageuse d’abandonner son confort pour aller vivre de l’intérieur la vie d’une femme de ménage, s’en imposer les travaux, le rythme de vie, la fatigue, l’environnement – même pour un temps limité -. Pour moi, ça, c’est du journalisme. Elle témoigne en connaissance de cause. La condescendance, c’est écrire sur le sort des précaires sans jamais avoir vécu ne serait-ce qu’une demi-journée comme eux, juste à la faveur des chiffres de l’économie et de son imagination…
oui, exactement, au moins elle va sur le terrain se confronter à la réalité.