J’ai découvert Sarah Chiche avec son livre « Les Enténébrés » qui évoquait, entre autres, son histoire familiale du côté maternel. Cette fois-ci, c’est sa famille paternelle qui est au cœur de « Saturne ».
Le livre s’ouvre avec le décès d’Harry, le père de Sarah, mort d’une leucémie foudroyante à l’âge de trente-quatre ans, peu de temps après son mariage et la naissance de sa fille. Le récit nous entraîne ensuite à Alger dans les années 50, où le père de Harry, Joseph, connait le succès et la fortune avec une clinique ultra moderne. La guerre d’Algérie et la décolonisation entraineront le départ de la famille, d’abord les deux fils, Armand l’aîné et Harry le cadet, envoyés en pensionnat, puis les parents et la grand-mère, qui réussiront à reconstruire leur empire en métropole.
Les deux frères, qui sont très proches en âge, n’ont pourtant pas le même caractère : Armand réussit brillamment médecine, fait un mariage bourgeois tandis que le cadet est plus rêveur, plus fêtard aussi, moins considéré que son aîné car il ne répond pas aux attentes de ses parents… Mais un jour, Harry rencontre la très belle Eve, jeune femme mystérieuse qui ment sur sa famille et ses véritables occupations. De ce coup de foudre honni par la famille de Harry, naîtra Sarah…
Plus qu’une histoire familiale, c’est le sujet de la place dans la famille et du deuil qu’explore ici Sarah Chiche. Comment faire le deuil d’un père que l’on n’a pas connu, dont on n’a pas de souvenir? Comment trouver sa place dans une famille, où le lien intergénérationnel a été coupé par la mort du père, où la mère est détestée et persona non grata – et a elle-même recréée une cellule familiale avec un nouveau mari et une autre fille, dans laquelle Sarah a du mal à se positionner?
Paradoxalement, c’est la mort de sa grand-mère paternelle qui sera le révélateur du mal-être de Sarah Chiche et de l’impossibilité à se construire dans un contexte familial flou et toxique…le livre nous raconte une saga familiale, un amour passionné et rock’n’roll, mais c’est aussi la description sensible d’une dépression et d’un deuil différé. Un très beau livre, sans doute plus accessible que « Les Enténébrés », qui, malgré les événements sombres qu’il décrit, possède une certaine lumière, et met en avant la capacité à apprivoiser ses fantômes et à renaître de ses cendres.
Publié en Août 2020 au Seuil, en poche chez Points, 208 pages.