Le Royaume – Emmanuel Carrère

Je ne le cache pas, je suis une grande fan d’Emmanuel Carrère, que j’ai découvert avec « La Classe de Neige » et dont je tiens « D’autres vies que la mienne » pour l’un des meilleurs livres de ces vingt dernières années. J’étais donc ravie d’apprendre qu’un nouveau roman sortirait en 2014, et attendais « Le Royaume » comme le messie: si j’avais dû lire un seul livre de cette rentrée littéraire, cela aurait été celui-là. Enna, fine mouche, s’en est doutée, et m’en a donc fait cadeau dans le cadre de notre swap. J’ai quand même attendu la fin du Mois Américain pour le lire, et je piaffais d’impatience en visionnant le dialogue Emmanuel Carrère – Paul Veyne à La Grande Librairie.

Au début de la trentaine, Emmanuel Carrère a traversé une période de crise, à la fois sur le plan personnel, professionnel et sentimental. Ce moment de doute l’a rendu perméable à la religion catholique, épaulé par Jacqueline, sa marraine, et Hervé, son meilleur ami. L’étude de la religion, notamment, et les commentaires dont il a rempli une vingtaine de cahiers, lui ont permis de passer ce cap difficile. Cette première partie du livre, intitulée « Une Crise », m’a beaucoup intéressée car étant moi-même dans les âges d’Emmanuel Carrère à cette époque, je me suis reconnue dans ses doutes et ses tourments. Moi qui ne suis pas adepte du genre autofictionnel et de la tendance à mettre en avant sa vie personnelle, dans tout ce qu’elle peut parfois avoir de douloureux, d’intime voire de sordide, je laisse de côté ces réticences lorsqu’il s’agit d’Emmanuel Carrère (même si je dois avouer que certains passages de son Roman Russe me mettent vraiment mal à l’aise), et je me suis donc laissée emporter par les évocations de sa vie familiale, de Jamie la baby-sitter, de Jean-Claude Romand, et des références à Philip K. Dick. Comme toujours j’ai trouvé l’écriture d’Emmanuel Carrère très juste, fluide, et capable de m’emmener sans aucune appréhension de ma part vers des terrains inconnus ou qui ne m’intéressent a priori pas.
C’est pourquoi j’ai commencé la partie suivante, « Paul », avec un grand enthousiasme, moi qui ai finalement très peu de connaissances précises sur le Nouveau Testament. Et effectivement, je dois reconnaître que mon intérêt a été fortement éveillé. J’ai aimé la manière d’Emmanuel Carrère de raconter la vie de Paul et de Luc,  de s’appuyer sur les travaux de Renan, de Paul Veyne, puis de Flavius Josèphe, de remettre cette histoire dans une perspective historique et chronologique, puisque celle-ci me manquait, et même de parfois faire des comparaisons un peu osées avec d’autres contextes, notamment avec les relations Lenine-Staline-Trotsky, car cela me permettait de mieux comprendre certains épisodes. Donc oui, j’ai appris beaucoup de choses, et ce que j’ai lu m’a beaucoup intéressée, sans doute parce que j’ai déjà une sensibilité pour le sujet religieux depuis de nombreuses années – mais plutôt concentrée sur l’Ancien Testament.
Par contre, deux cents pages maximum sur ce sujet m’auraient mieux convenu, et pas cinq cents, et à force, je dois avouer que j’ai commencé à trouver le livre vaguement ennuyeux et à lire certains passages en diagonale. Surtout, j’ai eu l’impression qu’Emmanuel Carrère disparaissait derrière ce sujet ambitieux, et il a commencé à vraiment me manquer, alors que grandissait mon impression de lire « Le Début du Catholicisme pour les Nuls ». J’ai été toute contente de le retrouver, même brièvement, même pour qu’il évoque son porno préféré, mais il a rapidement disparu, me laissant de nouveau seule en compagnie de Paul et Luc…
Alors, oui, j’ai été relativement déçue par « Le Royaume », qui ne correspondait pas aux attentes que j’en avais… finalement je me suis aperçue que j’aime Emmanuel Carrère surtout quand il parle d’Emmanuel Carrère et j’ai eu l’impression que son sujet lui échappait et qu’il n’arrivait pas à maintenir sa tête hors du flot des connaissances religieuses et historiques, qui ont pris le dessus sur lui. Tout ce que j’ai pu lire m’a quand même intéressée et j’ai aimé qu’Emmanuel Carrère m’oriente vers ces prémices du catholicisme vers lesquels je ne serais pas forcément allée de moi-même, mais j’aurais préféré que cela reste une introduction, quitte à prendre la suite moi-même en continuant avec un ouvrage de Paul Veyne ou « La Guerre des Juifs » de Flavius Josèphe- que je lirai certainement- et pas cinq cents pages sur les six cents qu’en compte l’ouvrage.C’est une lecture commune avec ValérieLaure et Mior.
Et une neuvième contribution au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Hérisson.

21 commentaires sur “Le Royaume – Emmanuel Carrère

  1. C'est exactement ce que tu dis que je crains dans le royaume. il est vrai qu'il y a des auteurs qui nous font aimer l'autofiction, et je crois que tu n'es pas la seule à avoir trouvé long les passages surPaul et Luc. Peut-être qu'il a vu trop large …

    1. Je pense qu il a été emporté par son sujet, dommage avec quelques coupures et peut être une meilleure organisation du récit, cela aurait gagné en lisibilité

  2. C'est un peu long c'est vrai mais j'ai tout de même beaucoup aimé. J'ai envie d'approfondir les connaissances acquises par ce roman parfois un peu trop touffu pour que j'en retienne l'essentiel.

  3. Contrairement à toi, j'ai préféré quand Carrère ne parle pas de lui, alors que c'était ce que je préfèrais dans Limonov.
    Peut-être que nous sommes déçues parce que nous en attendions trop.

  4. Je vais finir ce livre vraisemblablement demain. Contrairement à toi, je ne suis pas (encore) une grande lectrice de Carrère, puisque je n'avais lu que Limonov. Pour ma part, je suis littéralement éblouie par ce livre et il me semble qu'il ne fait que parler de lui-même en empruntant le vaste détour par les Evangiles et les vies de Paul et de Luc. J'aurais du mal à faire mon billet, tant je trouve ce livre extraordinaire et tant il me touche…
    En tout cas, tu m'as donné envie de lire D'autres vies que la mienne !

  5. Au début, Emmanuel Carrère parle de lui, du temps de sa déprime, de ses cahiers plus ou moins oubliés, de la baby-sitter…jusque là, j’accrochais, c’était très bien !
    Puis j’en suis arrivée à des BONDIEUSERIES insupportables pour moi !! il prie, il parle à Jésus, Jésus l’aime, Jésus le guide, Jésus, Jésus,… J’ai lu en diagonale, passé quelques pages pour arriver à la vie de Saint Paul, passé encore des pages …pour apercevoir Saint Luc à l’horizon ! J’ai arrêté là…
    Je dis comme vous : la vie de Paul et Luc, dans un ESSAI historique, pourquoi pas ? mais dans un roman ?? INDIGESTE.
    En revanche, la vie de Carrère par Carrère, oui…

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