Le Voyant – Jérôme Garcin

 

« Le Voyant » du titre est Jacques Lusseyran, qui perdit la vue à la suite d’un accident à l’école quand il avait huit ans, en 1932. Ses parents feront en sorte qu’il continue une scolarité normale, muni d’une machine à écrire en braille et de livres adaptés, et Jacques fera fi de son handicap, devenant un étudiant brillant et extrêmement cultivé. Sa cécité sera sa force, une sorte de sens supplémentaire qui jamais ne le freinera mais au contraire l’aidera dans toutes les périodes de sa vie.

Lorsque la guerre éclate, il entre en classes préparatoires au Lycée Louis-le-Grand. C’est là qu’il va participer à la mise en place d’un réseau de jeunes résistants, pour la plupart lycéens ou étudiants. Son sens auditif développé l’aidera à recruter de nouveaux membres en détectant dans l’intonation de leurs voix leurs forces ou leurs faiblesses. Jacques Lusseyran tiendra notamment un poste important au sein du comité de rédaction du journal clandestin « Défense de la France ».

C’est à l’été 1943 que sa vie va basculer : alors qu’il a largement le niveau pour entrer à l’Ecole Normale Supérieure, et qu’il a déjà passé deux épreuves écrites, il est expulsé de la salle d’examen car un décret de Vichy interdit la présence de handicapés dans la fonction publique. Un mois plus tard, il est arrêté pour faits de résistance, dénoncé par un agent infiltré dans son réseau et incarcéré à Fresnes. Il sera déporté à Buchenwald début 1944, où il intégrera le block des invalides.

 

Comme beaucoup de gens, je n’avais jamais entendu parler de Jacques Lusseyran, que ce soit en tant que résistant, que déporté ou qu’écrivain. On eût pu quand même penser que le fait qu’il soit aveugle ait marqué la mémoire française, mais non. Jérôme Garcin avec son roman, a voulu sortir de l’oubli cet homme hors du commun. On sent son admiration – tout à fait méritée – pour le personnage dans cette biographie passionnante, malgré quelques envolées lyriques un brin agaçantes.

 

Ce qui est fascinant chez Jacques Lusseyran c’est que son handicap aura toujours été sa force et non sa faiblesse. Jamais il ne se plaindra, jamais il ne se restreindra…selon lui, sa cécité lui permet de mieux voir que les voyants, de sentir des choses qu’ils ne sentent pas, et d’avoir une richesse intérieure supplémentaire. Je ne savais même pas que des personnes handicapées avaient pu survivre à la déportation, je pensais qu’elles étaient assassinées dès leur arrivée au camp. Jacques survivra grâce à son don pour les langues, et grâce aux liens qu’il tissera avec d’autres déportés. Toute sa vie, son charisme attirera amis et amantes, fascinés par son intelligence et son aura. L’histoire de son amitié avec Jean Besnée, son condisciple, résistant comme lui et qui mourra en déportation est extrêmement émouvante.

La France ne rendra pas justice à Jacques Lusseyran : en trop bonne condition physique pour recevoir une allocation de déporté, mais trop handicapé pour la fonction publique pour pouvoir y être enseignant, il devra s’exiler pour travailler. Les Etats-Unis accueilleront les bras ouverts le « Blind Hero of the French Resistance » mais il y subira les foudres de la bonne morale à cause de sa vie privée tumultueuse, qui égratigne le côté hagiographique de sa biographie. Multipliant les conquêtes, il ne sera pas un père impliqué et vivra en grande partie à des milliers de kilomètres de ses enfants. Dommage d’ailleurs qu’un homme qui a tant fait pour les autres semble s’être si peu investi pour sa famille. En 1971 il vit à Hawaï et lors d’un séjour en France, il trouve la mort dans un accident de voiture aux côtés de sa troisième femme. Son décès est mentionné dans la presse française sous le titre « Mort de deux habitants d’Honolulu ». Rien sur son passé de résistant ou de déporté.

« Le Voyant » est, malgré une écriture un peu trop lyrique à mon goût, une belle biographie d’un homme qui a prouvé que la cécité n’est pas une fin en soi. Ce livre donne vraiment envie de découvrir l’autobiographie de Jacques Lusseyran publiée en 1953, « Et la lumière fut », et la réécriture que celui-ci fit en anglais pour le public américain quelques années plus tard.

14e participation au Challenge Rentrée Hiver 2015 organisé par Valérie et hébergé par Laure de Micmelo.
Publié le 1er janvier 2015 aux Editions Gallimard, 192 pages.

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