Judas – Amos Oz

Curieusement, je n’ai jamais lu d’ouvrage d’Amos Oz, même si son livre autobiographique « Une histoire d’amour et de ténèbres » est dans ma PAL depuis des lustres… Ce nouveau roman, « Judas », aura donc été l’occasion de découvrir enfin le célèbre auteur israélien.

A la fin des années 50, à Jérusalem, le jeune Shmuel Asch est en bien mauvaise posture : sa petite amie l’a quitté pour épouser son ex, et ses parents, ruinés par un procès, ne sont  plus en mesure de payer ses études. Déprimé, n’arrivant plus à travailler sur son mémoire qui porte sur « Jésus dans la tradition juive », il arrête l’université et répond à une petite annonce pour devenir homme de compagnie d’un vieillard impotent. Il arrive dans une maison où vivent, quasiment cloîtrés, l’intellectuel Gershom Wald et une belle femme d’environ quarante-cinq ans, Atalia Abravanel. Shmuel est engagé pour s’occuper de Gershom tous les jours de 17h à 23h, c’est-à-dire surtout pour écouter le vieil homme discourir. Il finit par apprendre qu’Atalia, pour qui il éprouve une grande attirance, fut la femme du fils de Gershom, Micha. Leur union ne dura qu’un an car Micha fut tué pendant la Guerre de 1948. Atalia était aussi la fille de Shealtiel Abravanel, un homme politique qui s’opposa à Ben Gourion sur le sujet de la création de l’Etat d’Israël et qui finit complètement ostracisé et considéré comme un traître.

Quel roman riche ! Amos Oz se sert de cette histoire de quasi huis-clos, reposant sur le trio Shmuel-Gershom-Atalia pour questionner à la fois la création de l’Etat d’Israël, mais aussi la figure de Judas dans la Bible. Le point commun entre ces deux thèmes ? La figure du « traître ». Shealtiel, le père d’Atalia, était contre l’idée d’un Etat juif, et partisan de la création d’une communauté judéo-arabe. Il s’opposait donc à Ben Gourion, estimant que la ligne de conduite du leader sioniste ne pourrait déboucher que sur un conflit sanglant. Une position pour laquelle il fut poussé à la démission du comité exécutif sioniste et de la direction de l’Agence Juive et considéré comme traître par l’opinion publique. Gershom, lui, était un partisan de Ben Gourion. Pourtant le décès de son fils Micha a fait vaciller ses certitudes : la mort de Micha au combat a-t-elle eu une utilité? La création de l’Etat d’Israël valait-elle que l’on meurt pour elle? et si oui, que son propre enfant meurt pour elle?

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Amos Oz

Amos Oz, qui depuis 1967 milite pour la fin du conflit israélo-palestinien par la création d’un double état, questionne la pertinence du terme « traître » : « L’histoire a souvent produit des individus courageux, en avance sur leurs temps, qui étaient passés pour des traîtres ou des hurluberlus ». Quant à Judas, a-t-il vraiment trahi Jésus? Cette supposée trahison est à l’origine de l’expression « peuple déicide » pour les Juifs, et d’un large courant antisémite. Or, pour Shmuel, Jésus vivait selon la Loi juive et n’avait jamais eu en tête de créer une nouvelle religion. A l’époque, il y avait de nombreux guérisseurs et thaumaturges dans la région, mais Judas était persuadé que Jésus était un être supérieur, le Messie, et voulait que le monde entier le sache. Une crucifixion serait le meilleur moyen de révéler à tous avec un miracle qui était vraiment Jésus, et Judas l’organisa soigneusement, choisissant une date qui coïnciderait avec le plus grand rassemblement de l’année afin qu’il y ait le plus de monde possible. Pourquoi un homme qui aurait froidement trahi Jésus serait-il ensuite allé se pendre? Ne s’est-il pas suicidé justement parce qu’il n’y a pas eu le miracle escompté sur la croix, et qu’il a compris qu’il avait fait atrocement souffrir et mourir un homme qu’il adorait?

« Judas » d’Amos Oz est assurément un livre très intéressant et qui suscite le questionnement. Il est quand même un peu lent, mais je me sentais bien dans ce roman, entre les promenades dans Jerusalem et le huis-clos de la maison où Shmuel était partagé entre discussions politico-philosophiques avec Gershom et sa relation ambiguë avec Atalia. Le roman souffre quand même de quelques longueurs : il y a des redondances dans le discours qui auraient pu être évitées. Bien que les sujets abordés soient sérieux – géopolitique et religion – ils sont traités de façon très accessible. Mieux vaut quand même s’intéresser un minimum à la religion et à l’histoire d’Israël si l’on souhaite lire ce livre, car sinon, le plaisir de lecture sera bien moindre.

Je suis ravie d’avoir découvert Amos Oz grâce à « Judas ». Malgré les petits bémols, c’est un roman qui m’a beaucoup plu et que j’ai trouvé très intéressant. L’auteur a une très belle plume, mais aussi une grande érudition. Ce sera donc mon premier livre d’Amos Oz, mais certainement pas le dernier!

Publié en Août 2016 par Gallimard, traduit par Sylvie Cohen, 352 pages.

31ème lecture de la Rentrée Littéraire 2016

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16 commentaires sur “Judas – Amos Oz

  1. J’ai une réelle curiosité pour les thèmes abordés dans ce roman. En revanche, j’ai de réels doutes quant à ma capacité à comprendre tout ce dont il s’agit. Je crains que le côté religieux ne soit un peu trop érudit pour moi.

    1. je ne l’ai pas trouvé trop érudit, au contraire ces passages m’ont semblé vraiment accessibles et pas besoin d’avoir une grosse culture religieuse, même s’il faut avoir de l’intérêt et de la curiosité pour le sujet

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