Faut-il manger les animaux? – Jonathan Safran Foer

Histoire de patienter jusqu’à la sortie du nouveau roman de Jonathan Safran Foer, « Me Voici » ( 11 ans depuis Extrêmement fort et incroyablement près, j’ai failli attendre…), j’ai lu son célèbre essai « Faut-il manger les animaux? » 

Si Jonathan Safran Foer est végétarien, ce livre n’est pas un essai sur le végétarisme mais plutôt une réflexion sur la consommation des animaux (ce qu’évoque plus précisément le titre en VO »Eating Animals », loin de la question du titre en VF) . Et dès les premières pages, j’ai retrouvé le romancier que j’apprécie, avec son humour et sa tendresse. Car, comme il l’explique, la façon dont nous nous nourrissons est marquée par notre histoire et notre culture, et les sentiments, les émotions que nous plaçons dans la nourriture. Jonathan Safran Foer voit la nourriture à travers le prisme de son histoire familiale et aussi de sa religion. (« Dans la tradition juive de ma famille, j’ai peu à peu appris que la nourriture remplissait deux fonctions parallèles : elle nourrit et elle vous aide à vous souvenir »)

« Il existe des milliers d’aliments sur la planète, et il faut prendre le temps d’expliquer pour quelle raison nous n’en mangeons qu’une partie relativement minime. Il faut expliquer pourquoi le persil est utilisé pour décorer un plat, pourquoi on ne mange pas de pâtes au petit-déjeuner, pourquoi on mange les ailes mais pas les yeux, les vaches mais pas les chiens. « 

Et si cet essai se base sur des recherches de Jonathan Safran Foer – des lectures, des interviews, et même une visite nocturne et clandestine dans une ferme – l’auteur va appréhender le sujet d’une manière personnelle, en le raccordant à sa propre expérience. Le ton est alerte et la réflexion est vive, avec des phrases qui font mouche : « Presque toujours, quand je disais à quelqu’un que j’écrivais un livre sur la consommation des animaux, cette personne en concluait sans même avoir la moindre idée de mes opinions, que ce serait un plaidoyer pour le végétarisme. C’est là un préjugé extrêmement révélateur, un a priori qui traduit non seulement la conviction qu’une enquête minutieuse sur l’élevage des animaux inciterait n’importe qui à renoncer à manger de la viande, mais aussi que la plupart des gens savent déjà que ce serait la seule conclusion à en tirer », et des raisonnements pertinents, comme le paragraphe consacré au plaidoyer pour manger les chiens.

Jonathan Safran Foer étudie l’impact écologique de l’élevage industriel, les conditions désastreuses dans lesquelles sont « élevés » les animaux, la souffrance animale, les problèmes de santé, les scandales alimentaires… (ce qu’on trouve plus ou moins dans tous les livres sur le sujet) et pointe du doigt deux paradoxes : la plupart des gens connaissent les problèmes liés à la consommation de viande mais n’arrêtent pas pour autant de manger de la viande (c’est vrai, c’est mon cas…), et ceux qui arrêtent de manger de la viande pour préserver les animaux et l’environnement sont considérés comme des marginaux. Peut-être est-ce parce que nous sommes de plus en plus éloignés des animaux d’élevage? Difficile quand on voit un morceau de steak en boucherie, grande surface ou au restaurant, de le relier mentalement à un bœuf et ou à une ferme, et à des conditions d’élevage et d’abattage. (c’est également valable pour la pêche) Difficile de se priver de viande si on n’est pas prêt à y mettre le prix de la qualité. Difficile aussi de rompre avec la tradition, de manger différemment de sa famille, son conjoint, ses amis…Mais peut-être l’importance du sujet mérite-elle que l’on surmonte les difficultés pour changer nos comportements? Car c’est le fil conducteur que l’on trouve dans tout l’essai de Jonathan Safran Foer, avec cette anecdote de sa grand-mère (que je vous laisse découvrir) qui se termine par « Si plus rien n’a d’importance, il n’y a rien à sauver ».

Jonathan Safran Foer s’appuie sur des faits, et donne aussi son avis – très personnel, tout comme sa démarche – mais sans condescendance ou prosélytisme à outrance. Il a choisi la voie du végétarisme mais ne veut pas prôner cette unique solution, préférant laisser le choix au lecteur d’essayer de faire changer les choses par une consommation avisée et le poids du collectif.  Le récit est construit, très instructif, et fait vraiment réfléchir. Mais n’oublions pas que l’auteur est également romancier, et on retrouve dans « Faut-il manger les animaux? » la plume aimée dans « Tout est illuminé », son humour à la limite de l’absurde, sa chaleur, son héritage culturel et familial, qui donne un côté plaisant et accessible à ce qui aurait pu être un essai froid et théorique sur la question. Un ouvrage sensible et intelligent, devenu une référence pour ceux qui souhaitent se nourrir autrement.

Publié en 2011 aux éditions de L’Olivier, traduit par Gilles Berton et Raymond Clarinard, existe en poche chez Points,  362 pages.

7e participation au Mois Américain 2017 organisé par Titine

                                                                                          

 

16 commentaires sur “Faut-il manger les animaux? – Jonathan Safran Foer

  1. Et difficile de changer ses habitudes quand on n’aime pas manger de légumes…Après, on peut au moins réduire sa consommation et être du côté d’un plus grand respect des animaux lorsqu’il passe à l’abattoir. Et moi aussi j’attends avec impatience son nouveau roman !!!

    1. Tous les gens que je connais qui sont devenus végétariens voire végétaliens ont découvert de nouveaux légumes/fruits, de nouvelles saveurs..;bref une nouvelle façon de manger…
      mais effectivement, il faudrait qu’on soit mieux informés sur la façon dont a été produite la viande que nous mangeons et sur le coût réel de sa production notamment en prenant en compte l’impact écologique …

    2. « et être du côté d’un plus grand respect des animaux lorsqu’il passe à l’abattoir »

      Je sais pas mais j’ai bien l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans cette phrase ???

  2. tout doit rester dans le mininalisme…car maintenant avec l’augmentation du vegetarisme et veganisme on se retrouve avec de la suproduction vegetal et d’enormes problemes (cf Production des avocats, quinoa, soja etc..) bref je ne sais pas comment ils pensent nourrir 8 milliards de personne seulement avec des graines (on est officiellement a 15%, avec la partie indienne, de nourriture sans viande et cela commence a etre problematique)….le probleme majeur reste de toujours vouloir manger beaucoup a moindre cout….quand les humains commenceront a selectionner et ne pas hesiter a mettre le prix, la planete commencera a se sentir bien…mais on est loin de cela…les chinois commencent tout doucement leur surconsommation…..

    1. C’est vrai qu’on mange trop, et sans véritable transparence des conditions de production et de l’impact écologique de ce que nous mangeons.
      J’avais vu un documentaire sur la production de la viande, et quand on voit la consommation en eau de l’élevage et la production de maïs, soja, céréales diverses et variées pour nourrir les animaux que cela implique, ce sont des ressources qui pourraient être utilisées pour nourrir directement les humains…

    2. En même temps actuellement près de 80% des céréales cultivées dans le monde sont utilisées pour l’alimentation animale. Des céréales qui sont parfaitement consommables pour l’être humain « un hectare de terre peut nourrir 50 végétariens, mais 2 carnivores » (M. Dufumier, auteur de 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation)

    3. Sachant qu’un boeuf, durant sa courte vie, va ingurgiter 25 500 kilos de nourriture calibrée.
      Constituée de matière végétale (soja surproduit majoritairement) qui pourrait nourrir beaucoup plus de monde que les quelques privilegiés pouvant s’offrir un morceau de viande.
      En effet, le minimalisme serait le bienvenu, chez ceux qui continu à manger du steak !!

  3. J’avais trouvé cet essai passionnant, glaçant, courageux aussi, et très intelligent… il aborde toutes les problématiques liées à l’élevage industriel et à la surconsommation sans jamais se montrer pontifiant ou didactique. Suite à cette lecture, j’avais acheté Bidoche, du français Nicolino, histoire d’avoir la version « française » de ce désastreux état des lieux, mais je ne l’ai toujours pas lu. Ce sont des lectures sans doute nécessaires (et édifiantes, même si on se doute de ce que l’on va y trouver…) mais difficiles..

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