Le Garçon Incassable – Florence Seyvos

 

J’ai lu « Le Garçon Incassable » de Florence Seyvos dans le cadre du Prix ELLE, il était en lice dans la catégorie document pour le mois de Décembre, mais c’est « Passion Arabe » de Gilles Kepel qui a été choisi par le jury.

La construction de cet ouvrage est assez étonnante car elle intercale une biographie de Buster Keaton avec le portrait d’Henri, le fils du beau-père de la narratrice, resté handicapé moteur et cérébral après avoir fait une attaque quand il était enfant. Je ne sais pas si ce livre a été classé en document par ELLE pour la partie consacrée à Buster Keaton, ou si l’histoire d’Henri est autobiographique pour Florence Seyvos. C’est en tout cas l’impression qu’en donne la lecture du « Garçon Incassable », tant cela sonne juste et vécu, et j’aurais du mal à croire que ces scènes sortent de l’imagination de l’auteur.
Henri a toujours été stimulé par son père, qui utilise toutes les manières possibles, douces ou dures, pour le faire progresser, et croit dur comme fer qu’un jour son fils aura une vie tout à fait normale. Il y a de grandes victoires-Henri parle, marche, même si c »est à l’adolescence que sa différence est la plus frappante. « Henri est sorti de l’enfance (…) pour arriver nulle part, dans une adolescence qui n’en sera pas une et ne le mènera jamais à l’âge adulte. Sa vie se déroulera désormais dans un éternel état intermédiaire ».
Pourtant Henri n’est pas malheureux, il connait des « joies intenses et secrètes » et est entouré et aidé non seulement par son père, mais aussi par sa nouvelle famille: sa belle-mère, qui l’aide à apprendre à lire et le soutient dans sa rééducation, et ses demi-frère et sœur, la narratrice et son frère François, qui le traitent avec bienveillance et l’ont inclus dans leur vie.
Malgré ses difficultés, il cherche à conquérir une certaine indépendance, travailler dans un CAT de manière très consciencieuse, quitter la maison pour vivre en foyer. Il n’est pas non plus toujours très aimable avec sa famille dans son désir d’émancipation, et, un peu comme un adolescent, peut être un brin désagréable avec la narratrice ou sa mère.
« Chère soeur, est-ce que tu peux dire à maman qu’elle arrête de m’appeler, ça me fera très plaisir, sinon j’envoie quelqu’un d’autre, et je n’ai pas une tête à rigoler, j’espère que je me fais bien comprendre »

Quant à Buster Keaton, il est né en 1896 dans une famille d’artistes de Music-Hall. Son surnom « Buster » lui vient d’une chute mémorable dans les escaliers, à l’âge de six mois, dont il sort indemne. « That sure was a buster! » s’exclame l’homme qui le relève et prendra un jour comme pseudonyme Harry Houdini, a buster étant en anglais une chute spectaculaire. Ses parents connaissent le succès grâce à un spectacle où Buster est utilisé comme projectile vivant. « Le contrôle de son corps, son aptitude à se protéger deviennent un sixième sens, et il développe spontanément une faculté d’autohypnose qui le protège de la douleur ». Il va connaitre le succès à Hollywood dans des films muets, où les chutes sont sa marque de fabrique. Puis tombera dans l’oubli et l’alcoolisme avant d’être redécouvert « trente ans trop tard » et d’avoir son propre show, de tourner des publicités, d’être conseiller sur le tournage de films comiques.

J’ai aimé que la plume de Florence Seyvos ne soit jamais condescendante ou apitoyée au sujet d’Henri. Elle est parfois inquiète « souvent j’ai peur qu’il se perde encore,. J’ai peur que quelqu’un le bouscule. J’ai peur qu’il tombe en descendant du bus. J’ai peur qu’on le brutalise », parfois un peu agacée également par ce frère qui a un système de pensée différent, une logique parfois étrange, mais toujours tendre, et transmet très bien ce mélange d’émotions que l’on peut avoir face à un membre de sa famille dont on sait qu’il ne pourra jamais être complètement autonome, malgré tous ses efforts, et pour lequel, où qu’il soit, on éprouvera toujours de l’inquiétude et la sensation qu’il faudra être toujours là pour lui. Car Henri a parfois des lubies qui donnent lieu à des anecdotes tragi-comiques, comme lorsqu’il renverse sciemment à vélo une vieille dame qui ne traversait pas sur le passage clouté!J’ai trouvé le « Garçon Incassable » fin, tendre, le beau témoignage d’une différence acceptée et intégrée dans une famille malgré les difficultés. J’ai cependant été surprise par l’absence de lien entre Henri et Buster Keaton, à part peut-être ce rapport au corps qui n’est pas ordinaire, Buster Keaton par son incroyable résilience physique et Henri par son handicap, mais le mélange de ces deux histoires ne m’a pas dérangée plus que cela, même s’il m’a rendue perplexe. J’ai même soupçonné que l’auteur avait dans le passé voulu écrire sur Buster Keaton, sans aller au bout de sa démarche, et avait recyclé quelques chapitres déjà écrits pour enrichir son projet suivant.

Le seul bémol que je mettrais concerne les passages où l’on passe à une narration à la troisième personne – deux chapitres à Hollywood, et l’épisode final, un brin hystérique, lors de l’accouchement de la narratrice souhaitant que son petit garçon « puisse être incassable », qui tombent comme un cheveu sur la soupe, et n’apportent rien à ce beau récit, tendre et marquant, qui n’avait pas besoin de ce genre d’ajout un peu superficiel.

8 commentaires sur “Le Garçon Incassable – Florence Seyvos

  1. Rien à rajouter, je pense exactement comme toi…un beau récit mais la fin est vraiment discordante et le lien avec BK moyennement clair…c'est étrange parce que les blogueurs qui l'ont lu hors du prix Elle sont beaucoup plus emballés que nous

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